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jamais été autre chose. L’histoire est remplie d’événemens approuvés par la postérité qui témoignent à quelles conditions l’hérédité royale se maintient ou s’interrompt. Aujourd’hui surtout, et en vue de l’état de l’Europe, il serait étrange de faire une vérité absolue d’une pure convention politique. Non-seulement plus d’un royaume nous montre durables et prospères des violations de ce principe qu’on suppose éternel ; mais là même où l’on se pique de le maintenir, on n’y réussit guère aujourd’hui qu’à la faveur des abdications, c’est-à-dire qu’on en dissimule les violations, même volontaires, par les apparences. Les abdications sont toujours imposées par une force majeure, celle au moins des événemens ; elles ont pour la plupart au fond une origine révolutionnaire. Elles sont donc l’indirect aveu de la nécessité politique de contrevenir dans l’occasion à la règle de l’hérédité, et de s’en affranchir de manière ou d’autre. Exiger une renonciation ou exclure une dynastie sont des actes qui ne diffèrent que par la gravité, et qui, selon les cas, sont ou ne sont pas légitimes, mais enfin qui peuvent l’être ; on l’admet, et tout est là. Lorsque des hommes très distingués ont soutenu que la révolution de 1830 aurait mieux fait de consacrer sur la tête d’un enfant le principe de l’inviolabilité royale, ils ont admis sans difficulté, et comme allant de soi, le fait préalable d’une double abdication. Dans l’état présent des sociétés, il est difficile en effet de ne point accepter comme inévitables, parfois indispensables, ces interruptions de l’ordre établi ; mais parler après cela de principe inviolable et de droit sacré n’est plus possible dans la plupart des grandes monarchies de l’Europe. Les faits tout-puissans forcent ainsi les esprits les plus rétifs à reconnaître que les trônes sont d’institution humaine comme tous les autres moyens par lesquels les hommes ont tâché d’assurer le bien de la société, et que toutes les questions qui intéressent la royauté sont du ressort de la raison et de la politique. Les révolutions qui les décident sont, comme tous les actes des volontés humaines, justes ou injustes par elles-mêmes, et cela indépendamment des situations qu’elles changent et des prérogatives qu’elles déplacent. Il est toujours difficile, douloureux quelquefois, de discerner le droit véritable. Les temps où il est souvent séparé par le fait du droit traditionnel ou coutumier sont des temps laborieux pour les nations. Qui le sait mieux que nous ? L’histoire racontera la longue succession des angoisses auxquelles la transformation irrésistible des sociétés modernes aura condamné les hommes de l’Europe depuis l’ère de 1789. Qui voudrait cependant échanger notre temps pour une de ces époques d’engourdissement social où les peuples ne se sentent pas vivre, et reçoivent leur destinée toute faite comme le cours des saisons ?

Charles de Rémusat.