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litesse des manières, ne préservaient une portion de la société française de ces violences d’opinion et de calcul qui ensanglantent le drapeau d’un vainqueur et créent contre lui des griefs inexpiables. Sans doute on a exagéré le mal, la déclamation a envenimé les souvenirs et aigri les ressentimens ; mais la facilité même avec laquelle elle a fait accueillir les fictions de la haine indique assez dans quelle disposition la réalité avait laissé les cœurs. Si l’on considère en lui-même, plutôt encore que dans ses actes, l’esprit de 1815, on ne peut guère être trop sévère. Rarement cette sorte de perversité involontaire, cette méchanceté désintéressée qu’engendrent les passions politiques, s’est montrée plus naïvement odieuse chez des hommes qui d’ailleurs s’estimaient eux-mêmes et qui se croyaient justes. Jamais cette leçon de la faiblesse humaine n’a été plus claire et plus frappante. Celui qui a vu de près cette époque sans en partager les passions, et qui n’aurait pas été guéri du mal des persécutions et des réactions politiques, serait condamné à ne jamais rien apprendre.

Tels sont malheureusement les souvenirs dominans que la première année de la seconde restauration a laissés à la France. Elle eut pourtant d’autres et meilleurs résultats. Le parti royaliste était arrivé en majorité dans l’assemblée élective. Le gouvernement, faible devant ses exigences et ses menaces, résistait cependant, et opposait la prérogative royale aux forces parlementaires. L’usage de ces forces, dans quelque esprit qu’il fût dirigé, familiarisa et même en une certaine mesure raccommoda avec les institutions délibératives quelques-uns de ceux qui en avaient été jusque-là les mortels ennemis. Ces formes constitutionnelles d’un si mauvais renom, d’une si fâcheuse origine, devenaient une arme précieuse pour les mains auxquelles elles n’avaient pas été destinées. On fut conduit à opposer les chambres à la royauté pour la plus grande gloire du principe monarchique. Cette charte accordée à la révolution servit de poste avancé aux amis de la contre-révolution, comme ces ouvrages construits pour le défenseur, et dont l’agresseur s’empare pour s’y loger à son tour et attaquer de plus près. Les nécessités de la lutte rendaient moins difficiles et peu scrupuleux ceux qui avaient anathématisé cent fois toute résistance à l’autorité, et l’apôtre rigoureux de l’unité du pouvoir sans limite se servait de la division du pouvoir pour entraver ou dominer la volonté royale, heureux de faire tourner au profit du parti monarchique l’affaiblissement de la monarchie. D’autres, plus flexibles, plus pratiques, entrevoyaient la possibilité de conserver le mécanisme constitutionnel en le faisant jouer dans une direction qui plaisait à leur parti. Une opposition de circonstance les amenait à une véritable intelligence et même à un certain goût de la stratégie parlementaire. M. de Chateaubriand, malgré les erreurs d’une polémique plus véhémente que judicieuse