Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/499

Cette page a été validée par deux contributeurs.

souvent et sera longtemps encore célébré comme une sorte de prodige. Miraculeux ou naturel, ce n’en est pas moins le plus grand malheur qui lui soit arrivé, à lui aussi bien qu’à nous. — Mais M. Villemain a écrit l’histoire des cent jours, et c’est lui qu’il faut écouter.

Les cent jours firent grand mal à tout, même à la restauration qui les suivit. Quand elle s’accomplit, jamais gouvernement ne s’établit sous de plus tristes auspices, dans une situation plus désespérée, et son plus grand malheur fut de le sentir médiocrement. La joie du triomphe, bienveillante en 1814, fut vindicative en 1815. Sans doute la maison de Bourbon avait à se plaindre, elle pouvait s’indigner de plus d’un abandon ; elle avait trouvé peu de consolation dans les regrets du peuple. Elle s’était aperçue qu’elle ne tenait au sol par aucune racine. Le parti royaliste, effrayé de son isolement, exaspéré par ses mécomptes, voulait chercher la force où la cherchent les gouvernemens irrités. Désabusé de la confiance, il espérait dans l’oppression. Les mesures de rigueur parurent à la fois des actes de justice et de politique. Mais parmi les faits que l’on qualifiait de trahison, quelques-uns avaient été précisément inspirés par les illusions de la fidélité ou du patriotisme ; d’autres que l’honneur condamnait, n’avaient aucun des vrais caractères du crime ; tous tenaient à des circonstances générales pour lesquelles les lois pénales ne sont pas faites. Quand les révolutions se précipitent coup sur coup, ce n’est pas le moins funeste de leurs effets que de rendre obscure et vacillante la notion du devoir, et de mettre en conflit des opinions qui peuvent être également plausibles, des sentimens qui peuvent être également honorables. Pour s’élever alors, en jugeant les actes, au-dessus des emportemens momentanés d’une aveugle rigueur, il suffirait de considérer comment les apprécient, après que le temps a marché, ceux mêmes qui ont le plus le droit de les condamner. Par exemple, qui assurerait que, si un plomb fatal n’eût donné la mort au plus illustre de ceux qui moururent alors, le même prince qui l’a laissé immoler ne lui aurait pas confié huit ans après des armées à commander ? Le ministre qui dressa la première liste de proscription était lui-même une preuve vivante que l’oubli peut couvrir des souvenirs tout autrement sinistres que de soudains changemens de drapeau, inévitables aux jours de révolution.

Mais ainsi n’en pouvaient juger tant d’hommes inexpérimentés, promus par les événemens au rang de faction dominante. Il faut avoir vécu alors pour bien comprendre à quel point l’esprit de parti et la fausse raison d’état peuvent tromper la conscience et égarer la raison. Ni l’honneur du gentilhomme, ni la piété du chrétien, ni la frivolité de l’homme du monde, ni la douceur des mœurs et la po-