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choses. Les courts momens où l’espèce humaine a été contente de son destin sont les momens où ceux qui veulent détruire et ceux qui veulent conserver ont eu une satisfaction suffisante pour qu’un juge impartial eût prononcé que nul ne se devait plaindre.

On conçoit que les conditions de cet équilibre varient avec le temps. Les termes d’une transaction valable se règlent sur la proportion toujours mobile des contingens de force et de raison de chacune des deux parties. Les années amènent des convenances nouvelles, des nécessités inattendues, et la mesure des exigences légitimes et des concessions obligées est fixée par les circonstances. Le superflu d’une époque est le nécessaire d’une autre.

Un philosophe de la renaissance, et dont le génie aspirait à la vérité, un de ces hommes qui vinrent à temps pour essayer et trop tôt pour réussir, Giordano Bruno, avant d’expier dans les flammes allumées par l’inquisition romaine les témérités de ses spéculations, avait hasardé une idée qui est devenue le principe de toute une philosophie : c’est le principe de la coïncidence des opposés. Ce principe, dont on peut faire un usage téméraire en philosophie, a cependant une certaine vérité, et du moins il trouve sans cesse son application dans l’état de l’esprit humain. Il n’y a guère d’instant où, soit dans les pensées d’une société entière, soit dans l’intelligence de chaque individu, on ne puisse distinguer deux principes contraires que le temps y a fait arriver à la fois, et qu’il force à y coexister, soit en paix, soit en guerre. La solution de toute question scientifique est dans l’art de concilier des élémens qui semblent contradictoires, et, dans le gouvernement des états comme dans celui de son propre esprit, l’homme doit trouver le secret d’établir une harmonie quelconque entre des choses qui semblent faites pour la dissonance. Ce secret n’est jamais celui des partis, c’est celui des hommes d’état. Le mérite des partis, c’est de l’apprendre des hommes d’état ; le mérite des hommes d’état, c’est de l’enseigner aux partis.

Je ne crois pas qu’à aucune époque cette difficulté et cette nécessité se soient montrées plus éclatantes que lorsque, il y a quarante-trois ans, la chute de Napoléon rendit le trône de France aux descendans de Louis XIV.

J’appelle la chute de Napoléon la vraie cause de la restauration. Supposez que la mort eût été moins impitoyable, et que l’obus qui le couvrit à Brienne de terre et de fumée l’eût frappé encore dans le sein de sa gloire, il est possible que son sceptre eût passé aux mains de son héritier : cela est certain, s’il fût tombé un an plus tôt sur le même champ de bataille où périt Gustave-Adolphe ; mais une fois détrôné et captif, sa race tombait avec lui. Cependant, si c’était une révolution, elle était faite par des rois ; elle voulait encore