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reur Nicolas avait été rédigé d’après les ordres du jeune grand-duc Alexandre, le souverain actuel ; mais ce document, qui ne s’adressait qu’à la famille impériale, était resté inconnu du public. La réserve que l’on avait cru devoir observer à cet égard étant contraire aux principes politiques dont le gouvernement russe paraît se rapprocher de plus en plus, l’auteur de cette relation vient d’être autorisé à la mettre au jour, et même à y joindre plusieurs pièces justificatives qui sont empruntées à la correspondance des membres de la famille impériale. C’est donc d’un recueil de documens, nous le répétons, qu’il s’agit, mais c’est à ce titre précisément que l’ouvrage de M. de Korf mérite notre attention.

La première partie de ce livre est consacrée à l’exposé des circonstances qui entourèrent la déchéance du grand-duc Constantin, frère de l’empereur défunt et son successeur légitime. L’auteur nous fait pénétrer, à cette occasion, dans l’intimité de la famille impériale. Il nous montre la paix et la concorde domestiques régnant autour de l’empereur Alexandre. On est fondé à croire cependant que ce prince n’avait pas toujours à se louer de ses rapports avec le grand-duc Constantin, alors vice-roi de Pologne. Si à Pétersbourg Alexandre ne trouvait que soumission et déférence, rencontrait-il toujours les mêmes dispositions à Varsovie ? Il est permis d’en douter, et ce qui justifie ce doute, c’est la précaution même avec laquelle Alexandre prépara bien avant sa mort la déchéance de son frère. On sait que Constantin ne rappelait que trop l’empereur Paul, de funeste mémoire. L’empereur Alexandre devait donc chercher avec empressement à l’éloigner du trône ; mais il ne pouvait mener à bien cette détermination qu’en usant de la plus extrême prudence, et c’est ce qui ressort de la relation aujourd’hui publiée. Avant même que le grand-duc eût répudié sa femme, la princesse Anne de Cobourg, pour épouser en secret une Polonaise, l’empereur Alexandre avait déclaré confidentiellement au grand-duc Nicolas que leur frère Constantin ayant une antipathie innée pour le pouvoir, ce serait lui, Nicolas, qui pourrait bien être appelé à régner un jour. Aussitôt que le grand-duc Constantin annonça son divorce, parut un manifeste statuant que les membres de la famille impériale qui s’unissaient en mariage à des personnes non issues d’une maison régnante ou souveraine ne pourraient transmettre leurs droits aux enfans nés de ce mariage. Cette déclaration était significative, et Constantin ne s’y trompa point. À partir de ce moment, il commença à rendre des honneurs extraordinaires à son frère Nicolas ; mais le ton qu’il prenait avec lui dans ces occasions laisse percer la nature des sentimens qui l’animaient en secret. Lorsque le grand-duc Nicolas lui faisait quelques observations, Constantin lui répondait ironiquement qu’il honorait en lui le tsar de Mioliki. Ce nom était celui de la ville où saint Nicolas, le patron du jeune grand-duc, avait été évêque. L’auteur russe affirme que Constantin employait constamment ce surnom bizarre pour désigner son frère. Plus tard, étant à Pétersbourg, Constantin communiqua, toujours suivant la relation de M. de Korf, à sa mère et à sa sœur la grande-duchesse de Weimar, en présence du grand-duc Michel, la résolution qu’il avait prise de renoncer au trône, et quelques jours après cette confidence, il fit part de sa détermination à l’empereur Alexandre dans une lettre officielle. Cependant il est bon de dire que cette pièce importante n’avait rien de spontané ; elle avait été préalablement