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dire par la libre méditation. De toutes les philosophies qui se sont produites, la plus nette, la plus solide encore est la philosophie française telle que le XVIIe siècle l’a faite. C’est, si l’on nous passe ce terme, le plus grand et le plus sûr instrument de la vérité, et après tant de naufrages n’est-ce point le cas de se dire, comme M. Cousin, que cette philosophie est le souverain remède aujourd’hui, qu’il faut jeter l’ancre dans la conscience et le sens commun ?

Béranger n’a cessé de vivre que depuis quelques mois, et autour de cette tombe à peine close, c’est comme un bruit persistant de révélations, de biographies et de commentaires mêlés de polémiques. Pour les uns, c’est invariablement le patriarche, l’idole, sur qui nul ne peut porter la main sans impiété ; pour d’autres, c’est toujours le profanateur injurieux de la religion et de la royauté. M. Savinien Lapointe, un ouvrier poète, publie des mémoires qui sont la légende du chansonnier, qui ont la bonne intention de reproduire ses gestes familiers et jusqu’à ses moindres paroles. L’auteur des Méditations, l’homme de notre temps le moins fait pour comprendre l’auteur du Roi d’Yvetot, M. de Lamartine, écrit à son tour des Entretiens où il embaume respectueusement le poète populaire après avoir traité Alfred de Musset en poète léger. Béranger lui-même enfin, ce mort d’hier, vient, par ses Dernières Chansons, jeter son mot dans la mêlée, ce mot suprême qu’on attend toujours, même de ceux qui n’ont plus rien à dire, et en présence de ce bruit nouveau on en vient à se demander ce qui restera de cette gloire, ce qu’a été ce poète au fond, ce qu’il y a de vrai ou de factice dans ce talent et dans cette renommée, qui a été l’un des plus surprenans phénomènes de ce siècle. Ce qui restera, il serait bien aisé de le dire, si les hommes n’avaient tant de peine à mettre un peu d’ordre dans leurs jugemens et dans leurs admirations. Il restera avant tout un esprit fin et piquant, sensé et habile, qui eut son jour d’éclat exceptionnel, qui a su éviter les retours de fortune, et qui a eu le malheur ou l’imprévoyance, la seule peut-être qu’il ait eue en sa vie, de faire attendre pendant vingt-cinq ans des œuvres posthumes, surtout des chansons posthumes. Certes ce dernier livre contient encore bien des inspirations heureuses qui vont sans effort rejoindre les premières inspirations du poète. Il est parsemé de morceaux d’une ironie facile bu d’une douce philosophie, tels que la pièce à Ma Canne, le fragment sur le bonheur qui a pour titre Avis, et toutes ces petites œuvres, Mon Jardin, Mes Craintes, Les Voyages, où l’on sent l’homme ingénieux qui préfère à tout, comme Horace, son coin de terre et la paix. Seulement ce que Béranger n’a point vu, c’est que tout changeait autour de lui, et qu’à tant faire que d’être un chansonnier, il ne faut pas laisser fuir ce qui fait la vie de la chanson, l’à-propos.

Quand Béranger chantait au début, il avait tout pour lui, la jeunesse d’abord et la faveur d’un temps dont il flattait les passions ou les goûts ; il répondait à un instinct du moment. L’inspiration jaillissait, et la chanson faisait son chemin, devenant aussitôt populaire. Comprenez bien ce qu’il y a de différent dans un homme qui se renferme pendant un quart de siècle en tête-à-tête avec lui-même, s’occupant sérieusement à rassembler des refrains et les mettant sous le sceau d’un notaire pour ne les laisser paraître qu’après sa mort. Le poète n’est plus de ce monde, le sceau du notaire a été