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ne s’est point immédiatement adressé aux chefs de l’opinion libérale. Il a essayé de former un cabinet d’une nuance modérée, intermédiaire. M. Henri de Brouckère, qui avait déjà dirigé une administration de cette nature, a tenté de seconder encore cette fois les intentions du souverain : il n’a point réussi. C’est alors que le roi a fait directement appel à M. Charles Rogier, l’un des hommes les plus considérables du parti libéral par sa position et son expérience. M. Rogier s’est mis à l’œuvre, et le cabinet actuel a été formé ; il existe depuis le 9 de ce mois. Voilà donc le parti libéral mis de nouveau en possession du pouvoir. Que va faire aujourd’hui le ministère qui vient de se former ? Il se trouvait tout d’abord en face d’une difficulté qu’il ne pouvait éluder. La majorité de la chambre des représentans lui était ouvertement hostile, et elle l’eût vraisemblablement brisé dès le premier jour. D’un autre côté, cette assemblée ne devait se renouveler par moitié que dans le courant de l’année prochaine, et encore à cette époque même la constitution de la chambre n’eût point été peut-être sensiblement modifiée, puisque ce renouvellement ne devait avoir lieu que dans les provinces qui nomment d’habitude des députés libéraux, tandis que l’autre moitié de la chambre restait toujours intacte. La première nécessité pour le nouveau cabinet était donc d’éclaircir cette situation, et c’est ce qu’il a fait en prononçant la dissolution de la chambre des représentans, après l’avoir ajournée dans la première séance de la session annuelle qui a eu lieu le 10 novembre. Les élections vont se faire d’ici à quelques jours, et la chambre nouvelle se réunira, selon toute apparence, vers le milieu du mois prochain. C’est au pays de prononcer souverainement sur la politique intérieure de la Belgique et sur l’existence de l’administration actuelle ; mais en dehors de ces combinaisons et de ces questions de majorité, il reste toujours un fait grave qui n’est point sans doute l’œuvre du nouveau ministère, mais qui pourrait lui créer plus d’un embarras. Au fond, on ne peut l’oublier, le cabinet qui vient de naître monte au pouvoir à la suite d’événemens qui à l’origine ont été un échec, sinon absolument pour la loi, du moins pour le caractère légal d’une majorité législative ; là est pour lui la difficulté. On ne peut savoir encore quelle sera sa politique. Si elle est empreinte de cet esprit de modération et de transaction qui doit faire la force et la vitalité des institutions belges, la crise peut être considérée comme terminée ou comme notablement diminuée. Si, comme le supposent trop aisément ses ennemis, la politique ministérielle voulait entreprendre, dans un intérêt de parti, des réformes qui touchent à toutes les questions, la crise ne serait point finie, elle ne ferait que continuer. Ce n’est plus seulement la chambre des représentans qu’il faudrait dissoudre, l’opposition qui siège dans le sénat rendrait également nécessaire la dissolution de cette assemblée, et le mouvement qui a porté M. Charles Rogier au pouvoir ne tarderait pas à le dépasser pour le renverser à son tour, en plaçant la Belgique entre les hasards révolutionnaires et une réaction à outrance. Contre ces dangers purement éventuels jusqu’ici, la meilleure garantie est dans la capacité, les lumières et la prudence des ministres actuels, et au-dessus de la sagesse des ministres il y a la sagesse du roi. Ni les uns ni les autres ne voudront assurément lancer la Belgique dans une voie d’aventures où elle n’a rien à gagner et où elle peut tout perdre.