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encore que par le passé, car, après s’être rendu suspect aux exagérés de son parti par sa modération en plus d’une circonstance, il éloignait de lui quelques esprits libéraux par l’impopularité de certaines dispositions du nouveau projet. Cette loi elle-même était vue avec défaveur par une partie du pays en dehors des chambres. Les discussions législatives, en se passionnant et en se prolongeant, venaient achever d’enflammer l’opinion. On sait ce qui arriva : l’agitation prit un caractère menaçant à Bruxelles et dans les principales villes de la Belgique. Le ministère fut tout d’abord assez sage pour ne pas vouloir braver une telle explosion d’opinion, fût-elle un peu factice ; il ajournait les chambres et annonçait que la loi de la charité serait retirée. Le roi lui-même faisait appel au bon sens du pays et des partis.

C’était une trêve momentanément imposée par la sagesse du roi et du cabinet. Rien n’était résolu cependant. À dater de ce moment, si les discussions des chambres n’étaient plus là pour passionner l’opinion, la polémique des journaux ne perdait rien de sa vivacité. Il était évident que le parti catholique supportait avec peine l’échec qu’il venait d’essuyer, et qu’il ferait un effort pour l’effacer. Le parti libéral de son côté, enhardi par un premier succès, si peu parlementaire qu’il fût, voulait davantage, et le pouvoir, dont il paraissait assez loin il y a quelques mois à peine, tentait son ambition. Les élections municipales, fixées au 27 octobre, pour le renouvellement par moitié des conseils communaux du royaume, lui ont procuré l’occasion qu’il cherchait de mesurer ses forces et de faire acte de majorité. Le parti catholique, il faut le dire, n’a pas su résister à ces provocations. C’était de sa part une imprudence de laisser s’engager le combat sur un terrain qui devait doublement lui être défavorable : d’abord parce que l’opinion était encore sous le coup de l’agitation produite par la loi sur la bienfaisance, et en outre parce que dans les élections communales le résultat seul des villes apparaît et frappe, tandis qu’on attache moins d’importance au vote des campagnes, où le parti catholique a ses plus grandes forces. Dans cette lutte, c’est le parti libéral qui a triomphé ; les villes les plus importantes et même beaucoup de villes de second ordre lui ont donné la majorité : à Anvers et à Gand surtout, où la lutte a été la plus vive, les catholiques ont été vaincus. Il resterait à savoir si, en triomphant ainsi, les libéraux n’ont pas été eux-mêmes un peu dépassés, et si parmi les élus des conseils communaux il n’y a pas plus d’un démagogue déguisé en libéral.

Au premier aspect et en restant au point de vue strictement constitutionnel, les électeurs municipaux n’avaient sans doute nullement à se prononcer sur la direction générale des affaires de la Belgique ; mais comme au fond il avait été convenu, par une sorte d’accord entre les partis, que les élections municipales actuelles auraient exceptionnellement une valeur politique, le cabinet de Bruxelles a vu dans la manifestation qui vient d’avoir lieu un symptôme assez significatif pour qu’il en dût tenir compte. M. de Decker et ses collègues ont remis leur démission au roi, qui, à, son tour, a jugé la situation comme ses ministres, et s’est vu obligé d’accepter la démission qui lui était offerte. C’est ainsi qu’a fini le dernier cabinet, certain d’avoir encore la majorité dans les chambres, mais vaincu par les électeurs municipaux, car il semble que tout doive être anormal dans cette crise qui a commencé en Belgique il y a quelques mois. Le roi, dans ces conjonctures,