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de ce changement, ajourné pendant quelques mois et devenu bientôt inévitable. En réalité cependant, cette loi n’a été qu’un incident de la lutte incessante qui se poursuit depuis nombre d’années entre les catholiques et les libéraux, et qui s’est successivement engagée toutes les fois qu’il a été question d’organiser ou d’appliquer toutes ces grandes libertés de l’enseignement, de la presse, des associations, de la bienfaisance, dont le principe était inscrit dans la constitution belge. Or que résulte-t-il de cette histoire constitutionnelle de la Belgique, qui embrasse déjà une assez longue période, et où l’on voit les deux opinions opposées se succéder périodiquement au pouvoir, perdre ou reconquérir alternativement la majorité ? C’est que chacun des deux partis perd tour à tour l’ascendant par ses fautes et par ses exagérations. Cédant à ses passions plus qu’à ses lumières, entraîné souvent par des zèles intempérans, il veut, tant qu’il est au pouvoir, pousser à bout la victoire, et alors, une réaction naturelle s’opère dans le pays. Le cercle est parcouru, et l’histoire recommence.

Le ministère libéral qui avait été formé en 1847, et qui avait réussi à conduire heureusement la Belgique à travers tous les hasards de l’année 1848, ce ministère fut renversé en 1852 pour avoir froissé les sentimens religieux des populations par ses interprétations abusives des lois sur l’administration de la bienfaisance, et pour avoir compromis imprudemment les relations commerciales du pays avec la France. Il ne fut point sur-le-champ remplacé, il est vrai, par un ministère catholique ; il eut pour successeur immédiat un cabinet dont M. Henri de Brouckère était le chef, et qui représentait un libéralisme plus modéré, plus conciliant ; mais c’était une transition plutôt qu’une solution. À chaque élection nouvelle, la majorité catholique se dessinait, et en 1855 la Belgique voyait se former l’administration catholique qui existait il y a peu de jours encore, cette administration dont MM. de Decker et Charles Vilain XIIII étaient les deux principaux membres. Ces deux hommes d’état, qui comptent parmi les plus éminens de la Belgique, étaient animés des intentions les plus droites ; ils portaient au pouvoir un esprit aussi élevé que modéré. Ils ne laissaient point toutefois de se trouver dans une situation difficile, car, s’ils étaient par eux-mêmes concilians et libéraux sans cesser d’être sincèrement catholiques, ils avaient à compter avec les passions et les exagérations de leur parti. Ils étaient obligés de lutter contre des violences qu’ils réprouvaient, de résister à des pressions dangereuses, et plus d’une fois M. de Decker eut à faire face courageusement à des accusations de tiédeur, presque de défection, qui lui venaient des rangs de son propre parti.

C’est dans ces conditions que la loi sur les établissemens de bienfaisance était présentée aux chambres au commencement de cette année. Cette loi était-elle une satisfaction donnée par le ministère aux entraînemens de son parti ? était-elle le coup d’état irréfléchi d’une opinion intolérante ? Elle a pu être une imprudence, l’expérience l’a démontré : elle n’était rien de plus. Au fond, elle ne faisait qu’appliquer un principe que la constitution proclame, et qui est le droit commun de la Belgique. En organisant la liberté de fonder des institutions charitables, elle ne désarmait point l’état autant qu’on l’a dit, et elle ne ramenait nullement au moyen âge. Il n’est pas moins certain que dès-lors le ministère se trouvait dans une situation plus critique