esclave qui vient de briser ses chaînes. Il n’a pas encore de doctrine bien arrêtée ; qu’importe ? Il sait du moins avec Descartes son maître que l’étude de la pensée est le fondement des vérités les plus hautes. Les commentaires de la Bible ne le troubleront plus ; il connaît une Bible plus complète et plus claire, c’est cette substance spirituelle qu’il porte en lui, image ou émanation de l’infinie substance. Affranchi de ses scrupules d’autrefois, il exprimé librement son avis sur Moïse, sur les prophètes, sur les définitions de Dieu données par les livres saints, sur les classiques écrits des docteurs talmudistes. Il ne s’inquiète guère de scandaliser les rabbins ; ceux-ci pourtant le surveillent de près, envenimant ses paroles et les dénonçant à leurs chefs. Ce Baruch qui donnait tant d’espérances, ce Spinoza qu’on avait nommé rabbin à quinze ans et dont la renommée grandissait dans Amsterdam, va-t-il donc abjurer publiquement le judaïsme ? L’heure est venue pour les rabbins de frapper un grand coup. Avant que l’infidèle fasse cet affront à la synagogue, on essaiera des armes les plus terribles, on lancera contre lui, au nom de toute sa race, au nom des ancêtres dispersés, au nom de Jéhova et de ses archanges, les grandes malédictions. L’orage va éclater. En vain ses parens, son beau-frère Carcérès, sa sœur Miriam, si douce et si dévouée, le supplient d’expliquer ses paroles, de retirer ses blasphèmes : Spinoza est mûr pour la lutte, il confessera le droit de la philosophie et de la science. Point de jactance dans son attitude ; il est aussi éloigné des bravades que de la crainte. Ce combat qu’il va soutenir, nul ne le saura en dehors de la synagogue ; il est seul, et, sans autre appui que le témoignage de sa conscience, il affrontera d’un air calme les malédictions et les outrages. La scène où il repousse les offres d’argent de la synagogue, où il résiste aux lamentations de sa vieille nourrice, aux remontrances de son maître Salomon de Sylva, aux prières éplorées de sa sœur, est dramatique et vraiment belle ; la scène de la malédiction est plus curieuse encore. Écrite par un israélite, elle a l’intérêt d’une page d’histoire. L’imagination de M. Auerbach s’appuie toujours sur une érudition précise ; ici surtout on sent que l’auteur s’interdit scrupuleusement de rien inventer, et que tout son art consiste à retrouver la réalité même. Au moment de peindre son héros en face de la synagogue, l’auteur se rappelle Luther à la diète de Worms, et songeant à l’appareil éclatant qui environnait le moine de Wittenberg, si bien que l’accusé avait l’air d’un triomphateur, il sent plus vivement la force morale que dut déployer Spinoza pour soutenir les mêmes luttes au milieu de la solitude et de l’abandon.
« Une foule innombrable occupait les rues, et tous, les mains jointes, priaient Dieu de protéger la marche de leur libérateur. Le héraut de l’empereur