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Depuis longtemps, la vie qui animait ces formes et ces symboles s’est évanouie, mais leurs squelettes sont toujours là, qui pourrissent lentement et qui font par leurs miasmes le désert autour d’eux. La dissolution est lente et durera encore longtemps, car des siècles et des siècles de civilisation, car les débris de vingt empires et les symboles de dix religions successivement puissantes sont entassés là, en attendant que la mort ait achevé de les reprendre pièce à pièce. Ce spectacle de dissolution est profondément triste et plus émouvant que toutes les plaintes des poètes sur le sort des villes détruites et des générations disparues :

Grandiaque effossis mirabitur ossa sepulchris ;


car ces débris qui achèvent de pourrir, ce sont les restes des plus grandes choses qu’ait enfantées l’esprit humain. Mais cette dissolution, quoique lente, est irrésistible ; quoique triste, elle est nécessaire, et nous devons nous féliciter toutes les fois qu’un événement imprévu vient en hâter la marche, et avancer le jour où ce berceau du genre humain cessera d’être le cimetière des civilisations antérieures, et sera rendu de nouveau à la vie et à la nature. Là est la justification morale de la politique européenne, qui aide à l’accomplissement de ce travail de destruction et abrège la durée d’abus et de superstitions que l’inertie orientale laisserait vivre des siècles. C’est le service que l’Angleterre a rendu spécialement dans l’Inde, et c’est pourquoi il y a lieu de se féliciter que l’insurrection des cipayes lui fournisse l’occasion de précipiter un peu plus vite la longue décadence de l’Orient.

Émile Montégut.