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un moyen de se passer d’eux en faisant des recrues au dehors, parmi les Irlandais et les paysans de l’Écosse et de l’Angleterre. Ils savaient que ces hommes ne pourraient guère être, dans les premiers temps, qu’impropres à un travail tout nouveau pour eux ; mais on les y formerait peu à peu, et plus tard ils deviendraient autant de concurrens qu’on opposerait aux ouvriers en grève pour les tenir en bride et mater leurs prétentions. On put croire à une pleine réussite de l’expédient : les agens envoyés en Irlande et en Écosse enrôlaient facilement, et par centaines, de pauvres hommes de peine, peu accoutumés à des prix de journée tels qu’on les leur promettait à Preston ; mais ce fut l’occasion de nouveaux et très sérieux embarras pour les magistrats de la ville. Les ouvriers allaient attendre les arrivans à la station du chemin de fer pour les dissuader de passer outre par leurs exhortations, où les y contraindre par la violence. La police et la force armée, que l’on s’était hâté d’appeler, durent s’y rendre aussi pour protéger les Irlandais et leur servir d’escorte. Un jour la multitude se rua sur la police. Au bruit de la lutte, des milliers d’ouvriers accoururent des environs, et le désordre prit tant de gravité, que l’autorité se vit dans l’obligation de recourir au riot act, dont elle ordonna la lecture. Les émeutiers effrayés se dispersèrent ; mais le lendemain, au mépris de la défense proclamée par ordre du maire à son de trompe, ils se rassemblèrent en pleine campagne. Ils étaient là plus de trente mille, et après avoir délibéré au milieu de la plus vive effervescence, et en mêlant à des malédictions contre leurs patrons les cris répétés de : « Dix pour cent ! point de capitulation ! à bas les lords du coton ! » ils rentrèrent dans la ville, chantant en chœur une stance devenue populaire : « Fils de la Bretagne, pourquoi seriez-vous esclaves ? Dieu, votre créateur, vous a faits libres ; il donne la vie à tous les êtres, mais jamais, jamais il n’a créé un homme pour être esclave ! »

À la suite de ce meeting illégal et sur une dénonciation portée contre George Cowel et d’autres délégués, accusés d’avoir détourné et empêché des ouvriers étrangers d’exécuter leurs engagemens, on arrêta les meneurs au nombre de sept. Conduits dans les prisons de Liverpool sous la prévention du crime dit de conspiration, ils furent déférés par le grand jury aux assises ; mais la session était alors trop avancée. L’avocat des prévenus demanda que leur procès fût ajourné aux assises suivantes. Le magistrat fit droit à la requête et rendit aux prisonniers leur liberté sous caution. À leur retour à Preston, les inculpés trouvèrent la situation bien changée. PJus d’une manufacture était en pleine activité, plus d’une avait en nombre suffisant non-seulement des apprentis inhabiles venus de l’Irlande et de l’Écosse, mais des ouvriers tout formés venus des villes manufacturières de l’Angleterre ou fournis par Preston même. Évidemment