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faire comprendre aux meneurs, l’un, que le gouvernement du pays était peu disposé à se ranger de leur côté contre leurs patrons, et l’autre, qu’ils avaient trop présumé de leur influence sur les classes ouvrières du royaume. Au commencement du mois de décembre 1853, ils avaient pris occasion d’une expression assez vague d’intérêt et de compassion prononcée par lord Palmerston, alors ministre de l’intérieur, dans un meeting de la ville de Leeds, pour s’adresser à lui et solliciter son intervention dans leur dispute avec leurs maîtres. Leur mémoire n’était guère autre chose qu’un acte d’accusation contre les manufacturiers, et ils demandaient que l’autorité prît en main la cause des opprimés. Le procédé en lui-même avait blessé l’opinion publique, car en Angleterre on n’accorde pas volontiers au gouvernement le droit d’intervenir dans les affaires entre particuliers. On ne vit donc pas de bon œil les agitateurs de Preston faire bon marché de cette susceptibilité nationale. Lord Palmerston en jugea de même. Après un long délai, qui déjà était de défavorable augure pour les ouvriers, il leur répondit qu’ils s’étaient mépris dans leur démarche, que le gouvernement n’avait ni le droit ni l’intention de s’ingérer dans une question de salaires, et que c’était aux deux parties intéressées seules à la régler entre elles. Il finissait par recommander aux ouvriers de s’efforcer d’entrer en arrangement avec leurs patrons, et d’accepter d’eux les meilleures conditions que la situation actuelle de leur industrie leur permettrait d’accorder.

Dans une seconde circonstance, ai-je dit, les meneurs de Preston échouèrent également. Cette fois leurs prétentions étaient plus ambitieuses, et l’on ne comprend guère qu’ils aient pu sérieusement se proposer un but aussi chimérique. Il ne s’agissait de rien moins pour eux que d’établir ce qu’ils appelaient un parlement du travail (labour parliament), réunissant un certain nombre de délégués élus par les ouvriers du pays, gouverné par un comité dirigeant et soutenu par une contribution hebdomadaire de 2 pence, prélevée sur chaque membre de la confédération. Ce parlement particulier devait avoir pour mission de se faire concéder une diminution dans les heures de travail, la limitation du nombre des femmes dans les manufactures et l’exclusion absolue des enfans ; il devait poursuivre la destruction des truk mill, l’abolition de la règle qui prescrit le silence pendant le travail, et obtenir en un mot le redressement de tout ce que les ouvriers appelaient le système inhumain sous lequel gémissaient leurs industries. Au nombre des signatures apposées au bas de ces statuts, on lisait celles de deux réfugiés français, Nadaud et Louis Blanc. « Par ce qui se passe à Preston, lisait-on dans la circulaire destinée à les appuyer, vous voyez trop qu’il ne s’agit pas d’une question de salaires et de vos droits plus ou moins