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avec complaisance, car c’était une arme à l’appui de leur propre cause, qu’à cette époque, les manufacturiers avaient souscrit des fonds pour le soutien de la ligue contre les lois sur les céréales, et qu’ils avaient eu leurs meetings et leurs comités auxquels ils conviaient jusqu’à leurs ouvriers, leur promettant qu’après l’abolition des droits sur les grains, les salaires hausseraient. Rétorquant l’argument, ils disaient : « Maintenant ces mêmes hommes que l’on a vus s’unir et se combiner pour accomplir cette œuvre qui n’a été pour nous qu’une déception et dont ils ont seuls profité, ces mêmes hommes prétendent que les ouvriers à leur tour n’ont pas le droit de s’associer, de former des comités, de fournir des contributions à la défense de leur cause ; ils nous appellent des agitateurs gagés, et ils disent qu’ils ne rouvriront pas leurs ateliers tant que ces associations ne seront pas dissoutes. Voilà quelle est leur impartialité, leur justice ! Quant à la hausse des salaires, ils justifient aujourd’hui les prédictions des propriétaires de la terre qui nous annonçaient qu’en poussant au rappel des lois sur les céréales, les manufacturiers n’avaient en vue que leurs propres fins. » De leurs adversaires ainsi attaqués les orateurs populaires se retournaient ensuite vers ceux dont ils voulaient se faire des auxiliaires : ils savaient par quels côtés ils étaient le plus sensibles, sur quel point le plus irritable il fallait porter la main pour rouvrir les blessures qui leur avaient été le plus douloureuses. Dans une adresse à la noblesse anglaise, on lisait ces mots perfides, écho des tristes appréhensions dont elle est tourmentée : « Il est bien connu que les lords du coton, dont chaque mouvement révèle l’hostilité contre vous, convoitent vos propriétés pour arriver avec cette possession au gouvernement de l’état. » Quelques partisans du vieux système protecteur, quelques lords irrités encore du coup que le succès de la ligue de Manchester avait porté tout à la fois à leur fortune et à leur influence, s’imaginèrent que le moment de la revanche était venu, et ils auraient voulu le mettre à profit. Les journaux qui recevaient leurs inspirations essayèrent de plaider de nouveau auprès des masses une cause récemment perdue, avec quel éclat, on le sait, mais à laquelle les circonstances présentes paraissaient venir en aide. On tint même des meetings dans lesquels on ne ménageait pas plus l’injure aux manufacturiers que l’assurance de la compassion à leurs ouvriers. Il fut aisé de voir bientôt que ces ouvriers que l’on caressait ne se méprenaient ni sur les motifs, ni sur le but des attaques ainsi dirigées contre leurs ennemis du moment, et que ces affectations de souci et de sympathie pour leur bien-être ne les touchaient que faiblement. Les travailleurs en Angleterre pouvaient croire, et ils le croyaient alors, que les nouvelles lois commerciales ont servi d’autres intérêts que les leurs, ou que