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mouvement de Preston ne pouvaient donc mieux faire pour leur cause que de l’identifier avec celle de la religion et de la justice. Ainsi firent-ils, peut-être par calcul, peut-être avec sincérité. Il est certain du moins que, parmi les ouvriers, pas un ne doutait que leurs maîtres ne manquassent à ces lois vis-à-vis d’eux. Nul n’avait cherché à se rendre compte de la situation actuelle des manufactures, de leurs profits ou de leurs pertes, et de la résistance motivée ou arbitraire que leurs patrons opposaient à leurs demandes. La question pour eux avait passé du domaine de l’économie dans celui de la morale ; pour eux, la dispute soulevée se débattait entre la pauvreté sans appui et la richesse forte de sa puissance. Qu’était-ce qu’un shilling à donner par semaine pour celui qui en possédait des millions ? Que penser de lui s’il le refusait, sinon qu’il était un homme sans entrailles et sans pitié, qu’il n’était pas un chrétien, et qu’il répondrait de cette insensibilité au tribunal de Dieu ?

Les passages destinés à provoquer ces sentimens abondent dans les placards affichés tous les jours sur les édifices publics pendant la grève, comme dans les discours prononcés aux meetings. Ici on lisait : « Devant le Dieu de justice et devant notre pays, si renommé pour son humanité, nous protestons solennellement contre la dureté des chefs de manufactures envers leurs employés. » Plus loin : « Un mois s’est écoulé depuis que plus de trente mille ouvriers sont sans ouvrage et réduits à vivre de la charité publique. Depuis ce temps, les pleurs versés par la veuve aux pieds de l’oppresseur ont été recueillis dans le vase de la justice de Dieu. Les cris de l’orphelin affamé sont montés aussi haut que ceux des Juifs esclaves en Égypte. Pour ces veuves, pour ces orphelins, nous implorons votre pitié. » Les orateurs des meetings comparaient les ouvriers en grève à des « âmes en peine. » Les comptes-rendus de ce long débat s’appelaient « le récit des souffrances des travailleurs. » L’union entre eux, c’était « la rédemption de l’industrie. » Dans une assemblée tenue à Stockport, l’orateur, s’adressant au peuple, lui dit : « Les travailleurs du Lancashire, chassés aujourd’hui de leurs ateliers, sont le Lazare de ce pays ; ils gisent couchés aux portes de ces ateliers, réclamant de l’ouvrage. Le Lazare de l’Évangile est mort, et il a été porté par les anges dans le sein d’Abraham. Le riche de l’Évangile est mort aussi, et il a été jeté dans les tourmens de l’enfer. Le jour viendra où le filateur de coton paraîtra à la barre de la justice de Dieu côte à côte avec celui à qui il a refusé du travail. C’est ainsi qu’à ce peuple accoutumé à voir les riches et les puissans de son pays s’occuper de son sort et de l’adoucissement de ses misères, on représentait comme des cœurs endurcis et insensibles à ses maux ceux avec qui il avait ses rapports les plus intimes,