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D’ordinaire chacun gouverne sa fabrique bien plutôt dans un esprit de rivalité et de compétition contre ses voisins que de confiance et d’union avec eux. Chacun d’eux s’ingénie à introduire chez lui de meilleures machines que n’en ont ses confrères, et il met tout en œuvre pour s’initier aux perfectionnemens que tel autre a apportés aux siennes. Tout manufacturier, en un mot, aime à garder son indépendance, et il n’en aliène que le moins possible. En Angleterre surtout, dans ce pays de concurrence effrénée, et où le capital est si souvent engagé en de téméraires entreprises, on peut dire hardiment que jamais ceux qui le possèdent ne s’associent dans une pensée hostile aux ouvriers ; jamais ils ne combinent leurs efforts ni pour augmenter les heures de travail, ni pour réduire le taux du salaire. Si quelquefois ils s’unissent, comme à Preston, ce sera contre les marchands de coton et les propriétaires des mines de charbon, ou contre les acheteurs de leurs produits fabriqués, pour forcer les premiers à abaisser leurs prix, et les autres à souscrire à des prix plus élevés. Quant aux questions de travail et de salaire, ils les regardent comme dépendant des besoins du moment. Selon les circonstances, ils comprennent qu’ils doivent consentir à donner plus, ou que leurs ouvriers doivent se soumettre à recevoir moins.

L’association des manufacturiers de Preston, dont on a fait si grand bruit, n’avait donc en elle-même rien de contraire aux intérêts des ouvriers, rien qui leur fût agressif : elle ne prit ce caractère qu’après que la guerre eut été commencée et que les fabricans attaqués durent songer à leur défense. C’est alors, mais seulement alors, qu’ils se coalisèrent dans toute la rigueur du mot, et que ceux-là mêmes qui jusqu’à ce moment avaient refusé de faire partie de l’association, mais qui n’hésitèrent plus à y donner leur adhésion, s’engagèrent solennellement les uns envers les autres à fermer leurs ateliers et à ne les rouvrir que quand tous les ouvriers en grève auraient fait leur soumission et auraient consenti à reprendre leur travail aux conditions débattues individuellement par chacun d’eux avec le maître.

C’était une mesure désespérée que cette fermeture des ateliers, car déjà on y avait eu recours en 1837, et si elle avait jeté la misère et la détresse parmi les ouvriers, elle avait été la ruine de plus d’un parmi les fabricans. On a dit que les manufacturiers de Preston, dans leur propre intérêt et dans un sentiment d’humanité, auraient pu ne pas aller jusqu’à cette extrémité. Nous ne sommes pas de cette opinion, et l’événement a failli prouver que les manufacturiers n’avaient pas eu trop de toutes leurs armes pour se défendre. Ils ne se dissimulaient aucune des tristes conséquences de leur résolution pour eux-mêmes et pour les autres, mais ils croyaient de leur