Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/374

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

profits du maître et le taux des salaires de l’ouvrier combiné avec les besoins de sa vie n’existait plus, puisque partout ou presque partout, en ces premiers temps d’agitation, les maîtres et les patrons entrèrent en composition avec les hommes qu’ils employaient. Les uns le firent spontanément, d’autres ne cédèrent qu’à la menace de la suspension des travaux, ou même ne se soumirent qu’après que les travaux avaient été abandonnés. Partout néanmoins, nous le répétons, le résultat fut le même. À l’exception peut-être des portefaix de Liverpool, tous les ouvriers de l’Angleterre obtinrent que leurs salaires fussent augmentés.

Ce fut un spectacle curieux à observer que l’agitation qui se produisit aussitôt au milieu de ces masses de travailleurs. On était alors vers la fin du mois de juin de l’année 1853. Tout à coup, à Liverpool, à Manchester, dans le comté de Chester et dans le pays de Galles, dans tout l’ouest de l’Angleterre enfin, les ouvriers de presque tous les corps d’états et de métiers exigèrent une augmentation de salaire, et quand ils ne l’obtenaient pas, on les vit se mettre en grève. Tant que cette augmentation ne fut réclamée que par les ouvriers de métiers et d’industries de peu d’importance, l’attention publique ne s’en préoccupa guère. On laissa les maîtres tailleurs, bottiers, charpentiers et autres accommoder leurs différends avec les hommes qu’ils occupaient, régler eux-mêmes du mieux qu’ils pourraient des intérêts qui semblaient ne regarder qu’eux ; mais le mouvement s’étendit rapidement, et gagna les mines de charbon, les usines de fer et les manufactures de coton. À Liverpool les portefaix et les hommes de peine employés dans les docks se retirèrent du port, au nombre de 5,000. Ils demandaient que le prix de leur journée fût augmenté de 6 deniers, et porté à 4 shillings 1/2 par jour. À Stockport, vingt mille ouvriers des filatures quittèrent le même jour leurs ateliers, réclamant tout à la fois une augmentation de 10 pour 100 dans leur salaire et une diminution dans les heures de leur travail ; 6,000 ouvriers firent de même dans les mines du pays de Galles, mais ce n’était pas 10 pour 100 d’augmentation auxquels ils prétendaient : ils en exigeaient 15. À Manchester, les hommes même de la police suivaient l’exemple de plusieurs des corporations de la ville, et 250 constables se démettaient de leur emploi, au grand embarras des magistrats, qui, dans un pareil moment, ne pouvaient se passer d’eux pour protéger l’ordre public. Quelques semaines plus tard, le mouvement s’étendait sur tout le pays, et se faisait sentir à Nottingham, à Bristol et à Hull. Les ouvriers constructeurs de la Clyde, du Wear et de la Tamise y prenaient part. Personne alors ne resta plus indifférent à cette question des salaires ; on sentit que la prospérité du pays, l’intérêt de la communauté tout entière, y