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gain de cause, si les élévations de salaire qu’ils ont réclamées avaient dû leur être accordées dans les proportions et dans les conditions qu’ils prétendaient imposer, le commerce de l’Angleterre au dehors ne pouvait manquer d’en être gravement affecté ; il aurait perdu sa position de vendeur à bas prix, et la faveur dont le free trade avait joui jusque-là dans l’opinion publique aurait rapidement décliné.

Durant les premières années qui suivirent le rappel des lois sur les céréales et les changemens apportés aux lois de douane et de navigation, la condition de la classe ouvrière en Angleterre était incontestablement devenue meilleure. Le prix de presque toutes les denrées de première nécessité avait baissé, et l’impulsion donnée au commerce et à l’industrie fournissait abondamment du travail à tous les bras ; mais ce bien-être fut de courte durée. La prospérité et l’aisance générales amenèrent une plus grande consommation de toutes choses, et cette plus grande consommation détermina un renchérissement. À l’exception du pain, que la libre entrée des grains étrangers garantit efficacement contre le retour des hauts prix des temps du monopole, tout le reste, les alimens et les vêtemens, les logemens et les objets d’utilité domestique, en un mot tout ce que la vie de chaque jour exige avait augmenté de prix d’année en année, et bientôt était devenu plus cher qu’à aucune époque antérieure. L’ouvrier prétendait donc n’avoir obtenu dans sa situation que bien peu de changemens ; il avait pris d’ailleurs, pendant les quelques années d’abondance qui avaient suivi la réforme, l’habitude d’une vie plus douce ; il s’était accoutumé à de certaines jouissances, nouvelles pour lui, dont il trouvait dur de se priver, et l’amertume qui suit les espérances trompées le laissait moins disposé que par le passé à la résignation. Une autre circonstance encore vint aigrir son mécontentement. Si le régime nouveau n’avait été pour lui qu’une déception, ses patrons en recueillaient tout le profit qu’ils avaient jamais pu s’en promettre. Les manufactures florissaient : sur tous les points du royaume, il s’en élevait de nouvelles, et le travail y était en pleine activité ; aussi ne parlait-on que des énormes profits des fabricans. Les ouvriers le savaient : ils supputaient ce que leurs bras rapportaient à ces heureux capitalistes dont les habitudes dispendieuses révélaient l’opulence, tandis que le mercenaire qui travaillait pour eux trouvait à peine dans le fruit de son labeur de quoi suffire à ses besoins de chaque jour. Ces rapprochemens et ces contrastes produisaient l’effet accoutumé, et dès l’année 1852 de sourds mécontentemens grondaient au cœur de toutes les populations ouvrières de l’Angleterre. Exagérés plus tard et exploités par des meneurs habiles, il faut croire que dans le principe ces mécontentemens étaient légitimes, et que le rapport véritable entre les