Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/370

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il ne faudrait pas exagérer les ressources que le royaume de Siam offre au commerce européen. La population est peu nombreuse, le sol mal cultivé : la production et la consommation ne sauraient prendre immédiatement un grand essor ; mais le contact de l’Europe ne tardera pas à faire sentir son action bienfaisante, et les profits de la culture et du négoce convertiront bientôt à la civilisation occidentale ce peuple, demeuré insensible à la propagande du christianisme. L’exemple donné par la cour de Siam doit porter ses fruits et entraîner d’autres cours asiatiques dans les voies d’une politique nouvelle. Croit-on que les gouvernemens du Japon, de Chine, de Cochinchine, d’Ava, ont vu avec indifférence le roi de Siam recevoir ainsi des ambassadeurs étrangers, envoyer lui-même une ambassade en Europe, rompre enfin avec les vieilles traditions ? Non sans doute. À l’indignation du premier moment succédera le désir d’adopter une semblable politique en présence des bénéfices que le royaume de Siam retirera de ses rapports avec l’Europe. Il n’y a réellement pas d’antagonisme entre les deux races. Nous pouvons refuser nos hommages à la majesté de l’éléphant blanc et notre confiance aux astrologues : quelques superstitions, plusieurs détails de mœurs, nous font peut-être sourire ; mais en définitive, d’après les relations de Mgr Pallegoix et de sir John Bowring, nous voyons un peuple doux et bienveillant, un roi et même deux rois très éclairés, des princes et des ministres polis, distingués, habitués à la discussion des affaires et tout à fait dignes de figurer, dans une conférence, en face de la diplomatie européenne. On retrouverait les mêmes caractères dans d’autres contrées de l’Asie. Ce ne sont ni des enfans ni des sauvages, et l’on se tromperait fort, si on les jugeait seulement sur quelques traits étranges ou grotesques dont certains voyageurs, abusant de la permission accordée aux gens qui arrivent de loin, ont trop complaisamment égayé leurs faciles récits. Le royaume de Siam veut rentrer aujourd’hui dans la grande famille des peuples ; il se rapproche amicalement de l’Europe : qu’il soit le bien-venu ! Encourageons ses efforts, faisons en sorte qu’il ait à se féliciter de s’être compromis avec nous et pour nous. L’ambassade des deux rois de Siam est récemment débarquée en Angleterre ; elle visitera bientôt la France. Nous lui devons, en retour de l’accueil que notre plénipotentiaire a reçu à la cour de Bangkok, une hospitalité bienveillante, et il est à souhaiter qu’elle remporte dans son pays une haute idée de notre civilisation et de nos mœurs, d’agréables impressions et de grands souvenirs.

C. Lavollée.