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en 1789 a attaché le plus grand prix à ce qu’il en fût ainsi[1], et sa volonté jusqu’à ce jour a été religieusement respectée. Or le franc n’aurait plus sa place dans le système métrique, s’il était entendu désormais que l’unité monétaire est le franc tel qu’il existe dans la pièce d’or de 20 francs[2].

Je terminerai par une réflexion. Il y a deux manières d’enfreindre les prescriptions du législateur de l’an XI et d’attirer sur la société française les souffrances, les angoisses, les agitations peut-être, dont nous avons faiblement esquissé la perspective dans la première partie de cette étude ; c’est dire aussi qu’il y a deux manières d’exposer l’état à des accusations blessantes qu’il ne lui serait pas aisé de repousser. La première, plus franche ou plus audacieuse, serait d’apporter demain au corps législatif un projet de loi portant que désormais l’argent est déchu du rôle que lui avait attribué le législateur de l’an XI, en cela fidèle interprète de toutes les assemblées nationales qui s’étaient succédé depuis 1789, et que l’or à l’avenir sera le métal étalon dans les conditions de poids que je viens de rappeler. L’autre, plus timide, consisterait à rester les bras croisés et à laisser les choses suivre indéfiniment le cours qu’elles ont pris d’elles-mêmes. Dès-lors notre monnaie d’argent continuerait de sortir de France jusqu’à la dernière pièce de 5 francs : d’après les renseignemens rapportés au début de cet essai et d’après les tableaux qui sont consignés chaque mois dans le Moniteur, ce mouvement d’exportation acquiert tous les jours des allures plus effrayantes. Pour retenir même les menues pièces d’argent, on serait obligé de les réduire à l’état de billon, en retirant une partie du métal fin qu’elles contiennent. La démonétisation de l’argent serait alors un fait accompli. J’avoue qu’à quelque point de vue que je me place, à celui des intérêts ou à celui de l’équité ou de l’honneur, je ne puis mettre une grande différence entre l’un ou l’autre de ces deux procédés : les effets en seraient les mêmes, et je les crois également funestes et condamnables. Un jour l’histoire, quand elle ferait tenir son burin à des juges sévères défenseurs des principes, tels que fut Tacite pour son temps, n’aurait, pour caractériser l’un aussi bien que l’autre, que de rigoureuses qualifications. Dans beaucoup de cas en effet, l’omission est tout aussi coupable que l’action. Cela est vrai surtout par rapport à celle des forces sociales dont la destination particulière est de se montrer et d’agir.


MICHEL CHEVALIER.

  1. On a insisté sur ce point dans la seconde partie de cet essai. Voyez la Revue du 15 octobre.
  2. Au lieu de peser juste 5 grammes, le franc aurait un poids représenté par un nombre fractionnaire indéfini (0 gramme 32258, etc.).