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Ces inquiétudes furent en partie dissipées, le 28 mars, par une lettre du roi de Siam, qui exprimait à son « respectable et gracieux ami », son excellence sir John Bowring, combien il était heureux de sa visite. Il lui annonçait en même temps que des ordres étaient donnés pour le recevoir dignement à Paknam et pour l’amener à Bangkok. La lettre du roi, écrite en anglais, était rédigée dans les termes les plus aimables ; mais elle omettait un point essentiel : le Rattler serait-il autorisé à remonter le Meïnam jusqu’à la capitale, et pourrait-il ainsi déplier, aux yeux de la population siamoise, le pavillon de l’ambassadeur britannique ? La question fut décidée le 29 : on convint que sir John Bowring et sa suite seraient transportés à Bangkok dans les embarcations royales, conformément au cérémonial en usage pour les ambassades étrangères, que le Rattler se mettrait en route le lendemain et mouillerait à l’entrée de la ville. Jusqu’au 3 avril, le temps fut exclusivement employé à débattre tous les détails de la réception qui serait faite à l’envoyé anglais. Sir John Bowring avait une trop grande expérience des habitudes de la politique orientale pour ne point savoir combien sont importantes, dans les relations officielles avec les souverains de ces pays, les moindres formalités de l’étiquette. On proposa en effet de lui appliquer les règles usitées à l’égard des ambassadeurs de Cochinchine ou d’Ava. Sir John Bowring avait et devait avoir des prétentions plus hautes : il exigea que le représentant de la reine d’Angleterre obtint tous les honneurs qui avaient été décernés à l’ambassadeur du roi Louis XIV, et repoussa vivement l’assimilation que l’on semblait vouloir établir entre lui et les envoyés des nations asiatiques. La cour de Siam n’opposa point de sérieuse résistance à cette demande, et l’on s’entendit assez promptement sur les préliminaires des négociations.

Il ne se passait d’ailleurs pas de jour sans que sir John Bowring reçût du roi une épître familière attestant des dispositions très amicales et accompagnée de cadeaux. Les nombreux messagers ou visiteurs qui venaient à bord du Rattler se montraient aussi pleins de prévenances. Plusieurs d’entre eux savaient l’anglais ; quelques-uns avaient même voyagé en Europe ; ils causaient volontiers, interrogeant sur tout ce qu’ils voyaient à bord, provoquant les explications et les confidences, flattant l’orgueil de leurs hôtes par d’ingénieux complimens et esquivant ainsi l’obligation de répondre aux questions qu’on leur adressait sur leur pays. Ils avaient probablement un mot d’ordre : ils étaient chargés d’observer les allures des Anglais et de pénétrer leurs intentions, car l’arrivée d’un navire de guerre européen est toujours dans ces contrées un sujet de défiance ; les bâtimens anglais notamment ont le privilège d’inspirer aux souverains et aux peuples de l’extrême Orient certaines inquiétudes. Est-ce la paix, est-ce la guerre qu’ils apportent dans les plis de leur pavillon ?