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le succès obtenu par sir John Bowring les engagèrent à envoyer vers la fin de 1855 un nouveau plénipotentiaire, M. Townsend Harris, qui remporta de Bangkok une convention analogue à celle que l’Angleterre avait conclue avec Siam. Enfin la France se présenta à son tour, et le 15 août 1856, un traité d’amitié et de commerce fut signé à Bangkok par M. de Montigny.

Tel est le résumé des négociations successivement engagées par les puissances européennes et par les États-Unis avec le royaume de Siam. Il a fallu longtemps et à plusieurs reprises frapper au seuil pour faire pénétrer dans ce pays le commerce de l’Occident. En lisant l’intéressante relation que sir John Bowring a récemment publiée sur sa mission, on appréciera les difficultés que devaient rencontrer les diplomates européens dans leurs rapports avec la cour de Bangkok. C’est une étude instructive égayée par de curieuses scènes de mœurs. Nous avons raconté déjà les impressions de voyage d’un ambassadeur américain au Japon[1] : voici le journal d’un ambassadeur anglais à Siam. Ce sont deux tableaux d’une même galerie où sont représentés d’après nature, avec leurs traits singuliers et sous de vives couleurs, les hommes et les choses de l’Orient.


II

Sir John Bowring arriva, le 25 mars 1855, à l’embouchure du fleuve Meïnam. Il était embarqué sur le Rattler, corvette à hélice. La première visite qu’il reçut à bord fut celle de la douane. On eut assez de peine à s’entendre. Sir John s’adressait en chinois mandarin à un lettré de sa suite ; le lettré traduisait la phrase en chinois de Canton ; un Cantonais la transmettait en chinois du Fokien ; un Fokienois la rendait en siamois. On se figure ce que pouvait devenir la pensée de deux interlocuteurs à la suite de ces transformations presque aussi nombreuses que celles de Bouddha. Les douaniers prirent le parti de retourner, dans leur embarcation, au port de Paknam, où ils furent suivis par plusieurs officiers de la corvette chargés de voir le gouverneur et d’annoncer la venue du plénipotentiaire anglais. Le gouverneur était un frère du premier ministre, et il fit aux envoyés de sir John Bowring un accueil favorable. On apprit néanmoins qu’il existait à la cour un parti hostile aux Européens, et qu’on y agitait la question de savoir s’il ne vaudrait pas mieux éconduire le nouvel ambassadeur en persévérant dans la politique d’exclusion qui avait été adoptée, sous le règne précédent, à l’égard de sir James Brooke et de M. Ballestier. Il régnait donc une certaine anxiété à bord du Rallier, où l’on attendait une marée assez haute pour franchir la barre du fleuve.

  1. Une Ambassade américaine au Japon, Revue des Deux Mondes du 1er avril 1857.