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que doivent observer les talapoins comprend deux cent vingt-sept articles ; il recommande avec les plus minutieux détails la pratique de toutes les vertus et proscrit tous les vices ; de plus, il réglemente jusqu’aux moindres actes de la vie matérielle. La continence la plus absolue est ordonnée, au point que la loi défend d’aller dans une barque qui aurait servi à une femme, ou de monter une jument ou un éléphant femelle. Il ne faut ni tuer ni frapper les animaux ; en conséquence il est interdit de cultiver la terre, parce qu’on s’exposerait à tuer un ver ou un insecte, de couper les arbres, de faire cuire du riz, parce que le riz et les arbres contiennent des germes de vie ; on doit même passer à travers un linge l’eau que l’on veut boire, de peur qu’il ne s’y trouve des animalcules. Les talapoins ne peuvent ni acheter ni vendre ; toute occupation temporelle leur est défendue ; la règle les condamne pour ainsi dire à une insensibilité complète, et dès-lors elle leur prescrit de vivre seulement d’aumônes. On trouve, dit Mgr Pallegoix, dans les livres sacrés de très beaux sermons de Bouddha, dans lesquels il inculque aux talapoins des vertus sublimes et dignes d’un vrai philosophe. Par exemple, en leur parlant de l’instabilité des choses humaines, il leur dit : « Ne vous attachez pas aux biens de ce monde, parce qu’ils vous échapperont malgré vous ; rien dans l’univers ne vous appartient ; votre personne même n’est pas à vous, puisque vous ne pouvez la maintenir dans le même état, et qu’elle change continuellement de forme. » Il leur ordonne aussi de n’avoir ni amour ni haine pour quoi que ce soit, d’établir leur âme dans un état d’indifférence telle que les biens et les maux les trouvent également insensibles, qu’ils ne soient pas plus touchés des louanges que des injures, des bons traitemens que des persécutions, qu’ils supportent la faim, la soif, les privations, les maladies et même la mort avec une égalité d’âme imperturbable. Voilà en quelques mots la philosophie de la doctrine : l’insensibilité morale, l’inaction matérielle, et, comme conséquence logique, la mendicité. De tous les préceptes de Bouddha, celui qui est le mieux observé, c’est l’article qui prescrit de vivre d’aumônes. Chaque jour, les talapoins se mettent en campagne avec leur besace et leur marmite réglementaire, et ils vont recueillir les provisions, les présens de toute sorte que leur prodigue la charité publique. Donner à un talapoin, c’est donner à Bouddha, et la population s’empresse d’accomplir ce pieux devoir. Le roi, la reine et les principales concubines font tous les jours, de leurs propres mains, à un nombre considérable de bonzes des distributions de vivres et d’aumônes. La récolte est rapportée au couvent. Les talapoins lettrés, qui se livrent à la prédication, sont fréquemment invités à se rendre dans les maisons des riches, où leurs sermons sont rémunérés par des présens ; ils parviennent ainsi à se créer un pécule