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vers Rome, car son paganisme était philosophique et non traditionnel : or, si la tradition du paganisme était à Rome, sa philosophie était en Grèce. Au milieu des guerres qui remplirent le vaillant règne de Julien, il trouva le temps de réparer les villes endommagées par les Barbares, notamment celles de la Gaule. Nous lui devons les thermes de Paris, qu’on regarde à peine, et qui à Rome attireraient l’attention des voyageurs. On sait combien il aimait sa chère petite Lutèce, comme s’il avait le pressentiment que de là sortirait un jour un adversaire du christianisme aussi passionné que lui. Du reste, Julien n’était pas plus un apostat que Voltaire ; ni l’un ni l’autre n’avaient jamais cru à ce qu’ils attaquaient, et par ses vertus le premier, mieux que le second, méritait le nom de philosophe.

On a fait une chose sage et digne en plaçant au Capitole l’image d’un adversaire injuste, mais honorable, du christianisme. Julien y figure parmi les empereurs et parmi les philosophes : le sculpteur n’a eu garde d’oublier cette barbe négligée, qu’il disait assez cyniquement être habitée. Il disait aussi, avec une prétention moins grossière à la rusticité stoïque, que cette barbe était propre à faire des cordes ; celle de ses deux bustes fait juger que Julien ne se vantait pas trop en parlant ainsi.

Il est intéressant de comparer la physionomie de Julien avec celle de Constantin : elle est beaucoup plus intelligente, elle est même spirituelle ; mais au lieu du regard fixe et profond de Constantin, Julien a un regard indécis et mal assuré ; il semble chercher l’avenir un peu au hasard : c’est bien l’homme qui, en le cherchant, a rencontré le passé. Le buste de Julien est le dernier buste d’empereur dans la série du Capitole. Cette série est doublement instructive ; on y lit l’histoire de la décadence politique de Rome écrite au front des empereurs ; on y suit la marche descendante de l’art ; elle est arrivée à son dernier terme dans le portrait de l’usurpateur Magnence. C’est un morceau de marbre dans lequel on a taillé une sorte de nez, pratiqué une fente qui ressemble à une bouche, et tracé des ovales qui peuvent passer pour des yeux ; cette sculpture est tellement grossière, qu’elle pourrait être prise pour l’œuvre d’un sauvage ou d’un enfant. On faisait mieux sans doute, comme le prouvent les bustes de Julien, infiniment supérieurs à cette tête difforme, dont les traits sont à peine dégrossis ; mais il suffit, pour caractériser l’art d’une époque, que la sculpture y fût capable d’une telle monstruosité.

L’empire d’Occident fut ressuscité par le partage opéré entre Honorius et son frère. Cependant celui des deux empereurs auquel échut l’Occident ne vint pas pour cela habiter Rome. Ce vieux foyer du paganisme ne pouvait attirer un empereur chrétien. La résidence