Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/309

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dédain : — Allons, disait-il, pose tes pistolets. Si j’avais voulu te donner un coup de couteau, à la manière des Transteverins, tu l’aurais déjà reçu. Peut-être, il y a quelques années, cela serait-il arrivé ainsi ; même quand je t’ai rencontré aujourd’hui, tel a été mon premier mouvement, mais j’ai changé d’avis. Je veux acheter le droit de te tuer en m’exposant à la mort. Nous allons nous battre : il faut que l’un de nous deux seulement sorte vivant de cette chambre. Voici, poursuivit-il en ouvrant la porte, quatre de mes soldats qui sont en même temps mes amis. En leur présence, nous allons remettre à la pointe de nos sabres le soin de décider de la justice de notre cause.


Après un moment de silence, Landuzzi essaya de répondre et d’apaiser Mario en avouant ses torts, en s’accusant lui-même de lâcheté, non toutefois sans essayer d’expliquer comment un patriote jadis sincère avait pu descendre à un tel point de dégradation morale. À des yeux moins prévenus que ceux de son ancienne victime, ces explications auraient paru presque suffisantes. Landuzzi avait accueilli avec joie le mouvement italien comme une occasion d’expier son triste passé. Il s’était empressé de se faire inscrire parmi les volontaires qui partaient, sous les ordres de Durando, pour la Vénétie. À l’armée, il avait su se concilier l’estime, de ses chefs au point d’obtenir le grade d’officier et d’être chargé par l’état-major de dépêches importantes pour le roi Charles-Albert. Peu importent cependant ces explications à Tiburzio, qui craint de voir sa vengeance lui échapper.


« — Soit, dit-il ; mais tout cela ne change rien à notre querelle. Si ce que vous dites est vrai, je croiserai le fer plus volontiers avec vous, voilà tout.

« — Et si je refusais de me battre ?

« — Je vous tuerais, répondit Mario après avoir réfléchi un instant.

« Puis, sans permettre à son ennemi d’en dire davantage, il pria les deux frères Fortinatti de passer comme témoins de l’autre côté.

« — Messieurs, dit Landuzzi d’une voix tremblante, ce duel est impossible, oui, impossible, reprit-il avec plus de fermeté sur un geste de colère que faisait le lieutenant. Je reconnais que Mario Tiburzio a les plus sérieuses raisons de me haïr. Si mes torts étaient tels que j’en pusse espérer le pardon, vous me verriez le lui demander à genoux ; mais jamais je ne tournerai contre sa poitrine la pointe de mon épée. Aux torts que j’ai déjà envers lui, je ne veux pas ajouter celui d’abréger sa noble vie.

« Mario vit dans ces paroles une nouvelle injure : — C’est trop de lâcheté ! dit-il. Meurs donc comme tes pareils, traître, renégat !…

« Il saisit un des pistolets et ajusta Landuzzi à la tête. Le visage de celui-ci se décomposa, mais il ne bougea pas. Tous poussèrent un cri. Romualdo s’était déjà élancé en avant pour détourner le coup ; mais son mouvement fut inutile. Par une soudaine et violente réaction sur lui-même, Tiburzio avait jeté l’arme loin de lui ; puis, se frappant le front, il se tourna vers ses amis et leur dit d’un ton suppliant : — Au nom de Dieul faites-lui donc comprendre qu’il faut absolument que nous nous battions !