Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/294

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est parfaitement honorable malgré quelques défauts de caractère, malgré les idées excessives auxquelles il est conduit par le malheur. Ne faut-il pas garder quelque pitié à cette déplorable victime d’une réaction exagérée ? Oui, alors même qu’il descend encore en prêtant la main à de mystérieuses débauches, car l’ambition toute seule n’a pas suffi à l’y décider, il y a fallu en outre ces mille piqûres d’amour-propre que lui font endurer des collègues jaloux, et qui irritent son orgueil plus que n’auraient pu le faire de cruelles persécutions. Pourquoi cependant, à côté de cette chute, entourée comme à plaisir des circonstances les plus atténuantes, M. Bersezio ne nous a-t-il pas montré celle de ces hommes qui tombent par abjection native et qui changent moins parce qu’il faut vivre que parce qu’ils veulent vivre dans le luxe et les dignités ? Je ne puis passer outre non plus sans dire avec quelle surprise je vois un libéral, animé des sentimens les plus généreux, accorder une si grande place, dans ce tableau de la société politique en Piémont, à deux hypocrites, à deux hommes faits pour déshonorer le parti constitutionnel. Évidemment le jeune auteur est choqué outre mesure de la manière dont se recrute ce parti ; mais il y a dans son étonnement un peu de naïveté, qu’il me permette de le lui dire, et beaucoup d’inexpérience. De quel côté veut-il donc que se tournent les consciences faciles et les âmes ambitieuses, si ce n’est vers le pouvoir, qui dispense les places et les faveurs ? Que M. de Cavour cède son portefeuille à M. Solaro della Margarita, tous les Poggei, tous les Grechi des états sardes seront aussitôt partisans déclarés du régime absolu. Dans tous les cas, s’il est plus utile de flétrir le mal que de louer le bien, il était nécessaire, je ne crains pas de l’affirmer, de tracer, par opposition aux tartufes du libéralisme, le portrait de quelqu’un de ces hommes honnêtes et modestes qui soutiennent par conviction et sans esprit de calcul ces idées constitutionnelles desquelles dépendent aujourd’hui la gloire et le bonheur du Piémont. M. Bersezio, je le sais, a voulu mettre sous nos yeux dans son troisième récit le modèle du vrai patriote, mais fallait-il donc le chercher, comme il l’a fait, parmi les volontaires venus des états romains pour défendre en soldats la cause italienne ? Ce que nous voudrions voir, ce n’est pas seulement le patriote qui se dévoue et court à la frontière, c’est aussi l’honnête citoyen qui accomplit modestement sa tâche dans la vie civile, et pour qui la défense des principes constitutionnels est une source de sacrifices et non de richesses ou d’honneurs. Quoi qu’il en soit, voyons quelle a été la destinée du patriote romain, le héros du troisième de ces récits politiques.

Mario Tiburzio avait connu le malheur dès son enfance. Son père, successivement soldat de Napoléon et de Murat, puis carbonaro