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dans la presse, s’enhardit jusqu’à dire que le Piémont n’était pas en Chine, mais dans un pays opprimé, occupé en partie par l’étranger, et qu’il suffirait d’une légère réforme dans le gouvernement pour que les Piémontais se crussent au paradis terrestre.

Lorsqu’on vit enfin le roi Charles-Albert se dévouer à la sainte cause de la résurrection italienne, la jeunesse, qui avait jusqu’alors conservé ses croyances et ses aspirations radicales, s’empressa de les abjurer ; elle se rallia autour du prince qui ne craignait pas de compromettre sa couronne pour faire en sorte que l’Italie fût autre chose qu’une dénomination géographique. Les anciens camarades de Poggei, choqués de son empressement à renier sa foi politique du collége, lui avaient fait dans divers journaux une guerre d’épigrammes qui les avait brouillés. Heureusement Poggei n’était pas homme à se souvenir des injures : il recommença de saluer ses amis d’autrefois, d’aller à eux pour leur serrer la main ; bientôt il fut le plus ardent de tous. Il ne parlait que d’insurrections, de croisades contre les barbares ; il accusait le prince, les ministres, les citoyens, le temps, le ciel, de lenteur, de tiédeur, d’injustice. Alors que tout le monde était plein d’une folle, mais généreuse confiance, il témoignait une défiance marquée, et avertissait ses amis de se tenir en garde contre les riches et le clergé. Il ne faisait d’exception que pour le marchesino, dont il ne cessait de vanter le patriotisme.

Si clairvoyant que fût l’avocat Poggei, la nature de ses conseils aurait dû faire révoquer sa sincérité en doute, car il n’était guère politique, en un pareil moment, de décourager les dévouemens même les plus équivoques ; mais le moyen de repousser un homme qui parlait plus haut et plus ferme que tout le monde, qui se plaignait d’être retenu dans la vie civile par ses devoirs de père de famille, et qui semblait inconsolable de ne pouvoir se faire soldat ! On ne remarquait pas qu’à la moindre hésitation du gouvernement, le bouillant Poggei inclinait plus visiblement à contenir l’ardeur populaire, à reprendre les allures de la prudence ou plutôt de la timidité, et que les libéraux, ses amis, ne le rencontraient plus nulle part. Le travail de son cabinet et les fatigues de l’audience étaient, dans tous les cas, une excuse suffisante pour ces singulières disparitions.

Il ne fallut pas moins que les réformes d’octobre 1847 pour lui rendre son ardeur. On sait combien ces réformes étaient insignifiantes, et néanmoins quelle joie immense, quel enthousiasme universel les accueillit, preuve manifeste de la nécessité de modifications profondes dans le gouvernement piémontais. « On pouvait enfin, dit M. Bersezio, qui a vu ces événemens de près, marcher la tête haute, regarder qui que ce fût en face, sans craindre de voir dans