Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/266

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

honnêtement un reçu pour les trois mille piastres que vous venez de me compter. Vous déplairait-il pourtant d’ajouter que ces trois mille piastres vous avaient été demandées par moi au nom et de la part d’Athanase, comme remboursement d’une créance d’égale somme qu’il aurait sur vous ?

— Nullement, âme de ma vie, et j’ajouterai encore que, n’ayant aucun souvenir de cette créance et désirant néanmoins vous obliger sans perdre de temps, je vous ai remis les trois mille piastres à mon compte et indépendamment de ma situation relativement à Athanase, ce qui est l’exacte vérité.

— C’est bien, répondit Benjamin, qui commençait à ne plus rien comprendre à cette affaire, et il signa.

Dès le lendemain, il courut chez plusieurs marchands dont Athanase lui avait donné l’adresse pour se procurer les objets d’équipement dont il pensait avoir besoin ; mais il ne trouva rien qui lui convînt. Les marchands le regardaient d’un air de méfiance, lui montraient le rebut de leurs magasins, lui demandaient des prix tout à fait déraisonnables, et semblaient ne pas regretter que le jeune homme se retirât sans rien acheter. Ces gens-là sont singuliers, se disait Benjamin ; on dirait, qu’ils me regardent comme une mauvaise pratique ? Je ne dois pourtant rien à personne, et je n’ai jamais eu de dettes.

Après avoir vainement parcouru le bazar, Benjamin retourna chez son ami, son protecteur et conseiller Athanase, qui le reçut à bras ouverts.

— Où en sont vos emplettes ? lui demanda-t-il après l’avoir fait asseoir sur le divan et lui avoir mis un tchibouk à la main.

— Je venais justement vous consulter à ce sujet, répondit Benjamin ; mais je dois d’abord vous rendre compte de mon entrevue avec Michel.

— Vous a-t-il remis l’argent ?

— Oui, mais…

— C’est là l’essentiel ; le reste importe peu. Avez-vous un bon cheval ?…

— Permettez-moi, Michel m’a dit…

— Oh ! je suis persuadé qu’il vous a dit bien des choses, et probablement plus de fausses que de vraies, car c’est un fameux menteur, un bon homme au fond, mais qui préfère dix mensonges à une vérité. C’est son goût, et chacun à le sien.

— Permettez-moi, il a nié absolument que…

— Il a nié qu’il me dût de l’argent, n’est-ce pas ?

— Oui.

— J’en étais sûr, je l’aurais parié ; je le disais hier au caïmacan,