de nabab, donnant des bals et des dîners dans un magnifique logement, ne sortant qu’en carrosse, déployant en un mot le luxe le plus effronté. Ce fut à cette époque que la fortune sembla l’abandonner. Les spéculations qu’il tenta échouèrent avant que l’audacieux opérateur eût réussi à dépouiller ses associés. L’antique Byzance, atteinte enfin par l’influence occidentale, semblait secouer cette bienheureuse inertie qui avait livré jusque-là tout Osmanli et ses trésors à la rouerie grecque et arménienne. Tel pacha, maître d’un harem bien peuplé, ne s’enflammait plus sur le simple rapport que lui faisait Athanase de la beauté incomparable d’une esclave de grand prix, et n’achetait plus chat en poche. Tel autre avait découvert que parmi les objets de manufacture européenne il y en avait de beaux et de médiocres, de précieux et d’autres absolument sans valeur. Un autre ne donnait plus les poulains issus de ses jumens par cette bonne raison qu’ils étaient trop jeunes pour servir, et il attendait patiemment qu’ils se fussent corrigés de ce défaut. Athanase fut près de tomber à la renverse lorsqu’ayant présenté à l’un de ses plus riches patrons une vieille et horrible montre en étain, aussi lourde qu’un boulet de calibre, et en ayant demandé cinq cents francs, le riche patron sourit gracieusement et lui rendit sa montre en ajoutant qu’il en avait acheté une la veille infiniment plus belle et plus neuve pour la moitié de cette somme. — La fin du monde approche, se dit alors Athanase stupéfait, et cette effrayante prophétie sortit maintes fois de ses lèvres pendant son séjour à Constantinople, car tout le fonds de vieille quincaillerie qu’il avait rapporté d’Europe, et qu’il se proposait d’offrir à ses anciens protecteurs en témoignage de reconnaissance et en échange de quelques centaines de mille francs, lui resta sur les bras et ne lui rapporta que les remerciemens assez froids de quelques serviteurs de troisième classe dont l’amitié lui était presque inutile.
En homme de résolution, notre Grec eut bientôt pris son parti. Il laissa à ses créanciers les regrets, le blâme à sa compagne la prétendue comtesse, se réservant à lui-même le rôle de victime. C’était la comtesse, une grande dame accoutumée au luxe effréné de sa maison princière d’Italie, qui avait entraîné le pauvre Grec dans des dépenses bien supérieures à ses moyens ; mais Athanase était un homme d’honneur malgré sa pauvreté, et il ne faisait de dettes qu’autant qu’il trouvait des amis confians dont la bourse lui était ouverte. Ces amis confians, ces bourses ouvertes, lui manquaient-ils, Athanase avouait hautement sa situation désespérée, et n’empruntait plus. Paierait-il ses dettes ? Qui pouvait le dire ? Il était ruiné et forcé de vivre misérablement dans un des plus humbles khans de Constantinople ; cependant il ne lui manquait qu’une oc-