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nait Athanase pour détourner à son profit et à l’insu de son maître une assez forte part des revenus. Le moyen employé par Athanase était pourtant bien simple, il n’était même pas nouveau : il consistait d’une part à ne pas payer les dépenses du pacha, de l’autre à exiger de tous ses cliens le double des backchich ordinaires. Personne n’ignorait que le pacha croyait ses comptes soldés et qu’il ne touchait qu’une partie des backchich exigés par le banquier ; mais telle était l’influence, je dirais presque la fascination exercée par Athanase sur tous ceux qui le connaissaient, qu’il ne se trouva pas un seul délateur ni parmi les créanciers, ni parmi les protégés du pacha.

Cet homme était donc un misérable ? me dira-t-on. Je ne sais, car il était meilleur à coup sûr que la plupart de ses pareils. Il aimait à rendre service indépendamment de la récompense qu’il attendait de ceux qu’il obligeait, et qui bien souvent l’avaient oublié une fois le service rendu. La vue d’une créature souffrante lui était si pénible, qu’il eût donné jusqu’à son dernier para pour la soulager, quitte à se refaire l’instant d’après aux dépens du premier venu. Son intelligence n’était pas seulement subtile et déliée, elle était parfois accessible à des aspirations élevées et fortes. Or c’était là précisément ce qui faisait de lui l’homme le plus dangereux, non-seulement pour la bourse, mais pour la conscience de ses amis.

Lorsqu’Athanase eut amassé quelque argent, il quitta son pacha en lui laissant tous ses comptes des trois dernières années à solder, et il entra au service, toujours comme banquier, de l’un de ces déré-beys qui ensanglantèrent le règne du sultan Mahmoud, et qui vivaient en princes souverains, percevant les impôts et faisant la guerre à leur seigneur suzerain. Athanase se distingua fort dans sa nouvelle dignité ; il fut employé comme négociateur secret entre son maître et les pachas envoyés de Constantinople pour châtier le rebelle. Pas une ville ne fut prise ou rendue, pas un prisonnier ne fut échangé ou rançonné, pas un traité ne fut signé, sans rapporter des profits considérables au banquier diplomate. Malheureusement l’abîme est ouvert pour ceux qui planent à de grandes hauteurs. Un sombre nuage enveloppe cette époque de la vie d’Athanase. Un seul fait précis ressort des informations que j’ai pu recueillir : c’est que le maître de l’habile banquier, le déré-bey, fut livré, victime d’une trahison domestique, au souverain irrité, qu’il perdit mystérieusement la vie et qu’Athanase émigra subitement. Où alla-t-il planter sa tente ? Les uns disent chez certaine tribu kurde avec laquelle il était lié par je ne sais quel nœud de parenté ; d’autres affirment qu’il devint l’associé d’un célèbre bandit qui ravageait alors les provinces occidentales de l’Asie-Mineure. Le fait est que, bien des années plus tard, il par-