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qu’elles ne soient pas bien grandes. Ah ! mon garçon, vous avez découvert mon côté faible : j’aime les bonnes choses, et on en trouve si peu ici !

Pour se délivrer des importunités du factotum, Benjamin en était venu à promettre, après les raisins et le bekmès, du miel, du beurre, etc., lorsque le capitaine vint interrompre la conversation. S’il avait pu en deviner le sujet, peut-être se fût-il bien gardé de troubler son majordome au moment où celui-ci recourait à de si habiles manœuvres pour remplir le garde-manger commun. Le factotum congédia Benjamin au nom de son maître en lui promettant de préparer Athanase à le bien recevoir, et le jeune paysan regagna, plein de confiance, le café qui lui servait d’asile.

Qu’était-ce donc que ce Grec Athanase ? La question mérite peut-être qu’on y réponde à loisir, et, pour tracer ce portrait, qui demande quelques développemens, je veux profiter de la nuit qui apporte à Benjamin un sommeil paisible, égayé de beaux rêves. Le personnage qui va nous occuper représente en effet une des classes les plus actives, les plus intelligentes, et malheureusement aussi les plus corrompues de la société orientale.

Athanase était né à Angora, d’une famille grecque établie depuis longtemps dans le pays. Ses parens n’étaient pas plus riches que leurs voisins, et ceux-ci étaient tous excessivement pauvres. Athanase, dont la physionomie éveillée et les manières agréables attiraient tous ceux qui le rencontraient, plut à un pacha qui rechercha sa société et accepta de lui quelques services. Athanase sut les faire valoir. Il ne tarda pas à s’associer à un Arménien qui passait pour riche, et à obtenir pour son camarade et pour lui la charge de banquiers du pacha. Chaque pacha entretient ou du moins entretenait dans sa maison un ou même plusieurs de ces utiles fonctionnaires, dont la charge consistait à recevoir et à dépenser l’argent du maître. On suppose généralement que le banquier d’un pacha possède des fonds sur lesquels il ouvre à son noble patron ce que nous appellerions en Europe un compte courant ; mais c’est là une hypothèse tout à fait inadmissible. La banque d’Athanase et compagnie n’était pas mieux garnie que celle de tous ses collègues les autres banquiers des autres pachas ; mais les revenus de ces hauts fonctionnaires étant d’une nature excessivement irrégulière, les banquiers avaient beau jeu pour s’approprier en peu de temps un pécule particulier qu’ils prêtaient dès-lors au pacha à l’intérêt légal d’un et demi jusqu’à trois pour cent par mois. Athanase avait reçu de la nature une merveilleuse aptitude pour faire passer dans ses poches l’argent d’autrui. Le pacha dépensant d’ordinaire un peu plus qu’il ne recevait, on pourrait se demander comment s’y pre-