le caractère de Vauvenargues, au grand avantage de sa renommée. Derrière ce contemplatif qui paraissait dans les œuvres précédemment connues, pouvait se cacher un homme dont les pratiques fussent en complet désaccord avec ses maximes ; nous savons maintenant qu’en Vauvenargues l’homme d’action n’est pas moins respectable que le moraliste ; nous savons que la gravité dont ses écrits portent la marque n’était point un mérite d’emprunt mais le fond même de son caractère. Dans ses lettres des plus intimes, il s’excuse de quelques rares et courts accès de gaieté, comme s’il avait manqué par là à ce qu’il doit à ses amis et à lui-même. « Les personnes enjouées lui semblent un peu plus vaines que les autres, il aime mieux les mélancoliques qui sont ardens, timides, inquiets, et se sauvent de la vanité par l’ambition et l’orgueil. » C’est par pure politesse et complaisance qu’il accorde à Mirabeau que « la gaîté est le vrai bonheur ». Chose surprenante, cette gravité native ne dégénère point en sévérité pour les autres, peut-être même l’indulgence pratique de Vauvenargues est-elle excessive. « Nul esprit n’est si corrompu qu’il ne le préfère avec beaucoup de joie au mérite dur et rigide. Un homme amolli le touche, s’il a l’esprit délicat ; la jeunesse et la beauté réjouissent ses sens malgré l’étourderie et la vanité qui les suivent ; il supporte la sottise en faveur du naturel et de la simplicité ; l’artifice lui découvre les ressources d’un esprit fécond ; la violence et la fierté lui paraissent excusables ; l’homme infâme attache ses yeux sur la sorte de courage qui soutient son Infamie, etc. » Optimisme exagéré sans aucun doute, mais auquel les paroles suivantes semblent appelées à faire contre-poids. « Quand je préfère le vice à la rigidité, c’est par goût et par sentiment ; je n’ignore pas d’ailleurs ce qu’on doit à la vertu, quelque fâcheuse qu’elle soit. »
Sur l’une des questions les plus graves qui puissent s’agiter entre les hommes, sur la question religieuse, on était fort empêché de savoir quelles étaient au juste les opinions de Vauvenargues. Marmontel avait beau nous dire qu’il était mort dans les sentimens d’un chrétien philosophe, moitié l’un, moitié l’autre ; des faits contradictoires tenaient notre décision en suspens. Si certaines pages semblent révéler une orthodoxie incontestable, une ardeur de sentimens chrétiens presque égale à celle de Pascal, le silence absolu de Vauvenargues sur l’immortalité de l’âme, même dans l’éloge de son ami Hippolyte de Seytres, où un mot sur ce point eût semblé si nécessaire, ne permet pas de croire qu’il eût sur cette question fondamentale des opinions arrêtées dans le sens du spiritualisme. La vérité qui ressort de ses œuvres inédites et de sa correspondance, M. Gilbert l’a exprimée en deux mots, lorsqu’il a dit que « Vauvenargues, s’il ne croit pas, n’a du moins jamais pris son parti de ne pas croire ; son esprit hésite et va tour à tour de la foi au doute, du doute à la foi ; quand la mort est venue, il hésitait encore. » Qu’il me soit permis d’ajouter que cette incertitude ne paraît pas avoir pesé d’un poids bien lourd sur l’intelligence de Vauvenargues, et qu’il s’accommoda sans peine, à en juger du moins par sa correspondance, de cet état qui fut le supplice si éloquemment décrit d’un philosophe de nos jours.
Vauvenargues, en tout cas, peut être rangé parmi les plus modérés de son siècle par rapport aux questions religieuses. S’il admire, s’il aime profondément Voltaire, ce qui, pour le dire en passant, prouverait qu’il n’eut jamais cette foi chrétienne qu’on lui a bénévolement prêtée, il ne veut pas,