prendre des engagemens de cette force, c’est une proposition à se faire berner, et très digne de risée. » Pas plus que M. Gilbert, je ne saurais donc admettre le rapprochement qu’on a voulu faire de Vauvenargues et de Figaro, donnant à Marceline de Verte-Allure hypothèque sur sa personne.
Plus tard, lorsque, par dépit de ne pouvoir entrer sur-le-champ dans la diplomatie, Vauvenargues donne sa démission de capitaine, ses embarras pécuniaires augmentent, car il n’a plus les émolumens de sa charge pour subvenir aux premières nécessités de l’existence, et moins que jamais, après ce coup de tête, il oserait demander à sa famille des subsides dont l’inévitable prix aurait été sa captivité au manoir paternel. Or, s’il s’est fait libre, c’est pour vivre à Paris, séjour obligé d’un homme qui veut faire des lettres sa dernière ressource. Vient un moment où il est à ce point gêné dans sa pauvre chambre de la rue du Paon, où il doit mourir, qu’il cesse de sceller ses lettres à la cire, et ne fait plus usage que de pains à cacheter. C’est M. Gilbert qui a constaté sur les originaux ce fait curieux.
On est touché du soin avec lequel Vauvenargues recommande mainte fois à Saint-Vincens le plus grand secret sur toutes ces affaires d’argent. Il avait la pudeur de sa misère, et ne voulait pas surtout que sa famille le sût incapable de se suffire. Néanmoins, quand il y croit son honneur engagé, il n’hésite pas : il avoue franchement à son père l’état de ses finances. Il était alors en Bohême avec son régiment ; se trouvant hors d’état de payer les intérêts échus, il charge sa famille de les payer pour lui. On ne sait lequel est le plus admirable, de ce fils qui affronte des reproches redoutés plutôt que de retarder de quelques mois l’exécution de ses engagemens, ou de ce père qui y satisfait sans phrases, car il ne parait pas avoir abusé, en cette occasion, de l’avantage que la situation du jeune officier lui donnait.
Cette « ambition dans la pauvreté » dont parle Vauvenargues fut une des plaies vives et toujours saignantes de son âme. Il aime la gloire que donnent les grandes actions, et il en rêve. Il l’aime au point de se montrer trop indulgent pour tout ce qui la donne, même néfaste. S’il ne descend pas jusqu’à Érostrate, il va du moins jusqu’à Catilina, pour qui il a une tendresse quelque peu compromettante. La cour où se distribuent les honneurs ne lui paraît pas seulement un lieu de délices ; il croit qu’on y peut faire très honorablement son chemin. Mirabeau l’en reprend avec énergie, et cette fois a raison contre lui. Vauvenargues avait d’abord cherché la gloire dans les camps ; ne l’y trouvant pas, il s’y essaie au maniement des hommes, et l’une de ses lettres les plus remarquables est assurément celle où il apprend à Mirabeau comment il tâche de former son jeune frère, le chevalier de Mirabeau, qui n’avait encore que quinze ou seize ans, et qui était déjà au régiment auprès de lui. Cette lecture aide à comprendre pourquoi les officiers ses camarades l’appelaient père, encore qu’ils fussent pour la plupart plus âgés que lui. S’il renonce plus tard au métier des armes, ce n’est pas uniquement, comme on pourrait le croire, parce que sa santé résiste mal aux fatigues de la vie militaire ; une réflexion inédite sur les armées d’à-présent nous apprend que ce qu’il voyait autour de lui l’en avait dégoûté, « je veux dire l’ennui, la négligence, les murmures insolens et téméraires, le luxe et la mollesse, qu’entretiennent par leur exemple ceux qui, par l’autorité de leurs emplois, pourraient arrêter les progrès du mal. » Et comme si ce n’était