Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

possible. Il y a plus de trois mois que le ministère était condamné, il y a deux mois qu’il n’avait plus qu’une existence nominale ; la difficulté était de le remplacer.

La reine, on le sait, faisait tout d’abord appeler M. Bravo Murillo, qui arrivait alors à Madrid. M. Bravo Murillo aurait pu sans doute rallier quelques-unes des plus notables fractions du parti conservateur ; il a une position politique élevée. L’appel adressé à cet homme d’état était-il cependant bien sérieux ? On en peut douter d’après les conditions dans lesquelles le pouvoir semblé avoir été offert à M. Bravo Murillo. La reine lui proposait d’entrer dans un ministère assez incohérent par les élémens qu’il aurait réunis, et dont elle aurait gardé elle-même la présidence réelle. M. Bravo Murillo a décliné ces conditions, et alors c’est l’amiral Armero qui est devenu président du conseil, si tant est qu’il n’ait point été l’homme désigné au palais dès le premier instant. Quelle est donc la signification du cabinet définitivement constitué depuis quelques jours ? L’amiral Armero est un officier distingué dont le nom ne représente aucune opinion politique bien tranchée, quoiqu’il ait été au pouvoir à plusieurs reprises avec le général Narvaez et avec M. Bravo Murillo lui-même. M. Martinez de la Rosa, qui devient ministre des affaires étrangères, est un homme anciennement considéré, aimé pour son caractère, toujours bien placé à la tête d’une assemblée, comme il l’était dans la dernière session, et qui ne peut plus apporter à un gouvernement que la force de sa vieille renommée. Le ministre de la justice, M. Casaus, est un magistrat sénateur, jusqu’ici fort peu mêlé à la politique. M. Manuel Bermudez de Castro, qui entre au ministère de l’intérieur, est un député intelligent et actif qui représentait récemment l’Espagne à Vienne, qui a été déjà ministre pendant un mois avec le général Lersundi en 1853, et que le cabinet actuel s’est attaché peut-être pour n’avoir pas à craindre son opposition. M. Mon, qui prend la direction des finances, est visiblement l’homme important dans la combinaison qui vient de prévaloir ; C’est M. Mon qui a été le premier auteur du système tributaire qui régit actuellement l’Espagne ; c’est lui qui prenait en 1849 l’initiative d’une réforme douanière qui a exercé une influence heureuse sur le commerce espagnol aussi bien que sur les recettes de l’état. M. Mon a été l’un des régularisateurs du régime constitutionnel et modéré au-delà des Pyrénées, et il mérite le rang qu’il occupe dans son pays par ses lumières, par sa capacité, par son expérience financière. Au fond, ce cabinet ainsi composé incline vers les nuances libérales du parti conservateur. Sans se confondre avec ceux qu’on a nommés les partisans de l’union libérale et les vicalvaristes, il se rapproche d’eux à certains égards, et il leur a demandé un ministre des travaux publics, M. Salaverria, qui a été au pouvoir avec le général O’Donnell et M. Rios Rosas ; mais, par une inconséquence singulière qui s’est immédiatement traduite en fait, ce cabinet parlementaire et libéral a commencé son existence en ajournant de deux mois la réunion des chambres, qui devait avoir lieu hier. Quelle sera d’ailleurs sa situation en face des chambres telles qu’elles sont connues ? S’il paraît incliner vers les vicalvaristes, il aura probablement contre lui toutes les nuances de M. Bravo Murillo, de M. Llorente, du comte de San-Luis, et les absolutistes. Si à son tour il cherche à rallier ces