Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passé, qui est désormais trop loin de nous. Il a voulu se rapprocher de la nature, mêlant les couleurs du midi aux vagues rêveries du nord pour donner à celles-ci plus de précision. En même temps il s’inspire des poésies populaires de l’Allemagne, de l’Écosse, de la Finlande, de la Roumanie, de la Hongrie, et avec ces élémens divers il essaie de former une poésie nouvelle. M. Thakès Bernard a-t-il réussi ? Une œuvre ainsi comprise ne laisse point d’être artificielle. Il y a du moins dans les nombreux fragmens de M. Thalès Bernard un certain souffle poétique ; plus d’un morceau est empreint d’une vive et forte couleur.

Si l’auteur des Souvenirs d’un Voyageur, qui ne se nomme pas, ne fait point une étude particulière de la nature et des poésies populaires, il voyage au moins ; il voyage avec les sentimens d’un preux et là bonne volonté d’un poète. Où l’auteur ne dirige-t-il point sa course ? Il va dans les Pyrénées, en Espagne, sur le Rhin, à Venise, à Naples, en Écosse, à Smyrne, à Constantinople, en Afrique, et de chaque lieu qu’il visite il adresse ses confidences à ses amis, le plus souvent sous la forme d’un sonnet. C’est une poésie un peu cosmopolite, qui, sans être d’une grande nouveauté, a de la chaleur, et qui garde comme un reflet des scènes animées de la route. Il ne faudrait pas oublier la prison de Sainte-Pélagie, où l’auteur paraît avoir voyagé, sans le vouloir probablement, et d’où il date aussi ses vers. Ceux-ci ne sont pas les plus gais, on le comprend. — Évidemment M. Ferdinand Belligera, l’auteur des Miettes d’Amour, a un goût prononcé pour la poésie vive, cavalière, hardie ; les sujets scabreux ne l’effraient pas, et sa muse court-vêtue a des familiarités singulières. Il y a de la gaieté de jeunesse, de la bonne humeur peut-être, dans ces vers ; mais, hélas ! la chanson de don Juan allant à la Closerie des Lilas, chantant Lisette, et Maria, et l’ancienne Héloïse, promenant sa fantaisie à travers le monde, cette chanson est-elle donc nouvelle ? Nous l’avons entendue sur tous les tons. Mieux vaut cent fois, dans la jeunesse, suivre simplement son chemin, avoir des illusions, chasser l’ironie et le doute, s’abandonner aux purs et vrais enthousiasmes. — M. Louis Ratisbonne n’a point, sans doute l’humeur sévère et chagrine ; mais il y a quelque chose de cette fraîcheur de la jeunesse dans son petit livre Au Printemps de la Vie. C’est le portefeuille de la vingtième année. Il n’est pas, si l’on veut, très abondamment rempli : il contient quelques sonnets, quelques imitations de poètes étrangers et une fantaisie dramatique ; il y a du moins cette grâce légère et sans prétention qui fuit avec l’âge pour ne plus revenir.

Dans ces vers et dans bien d’autres, il serait facile de remarquer, à des degrés différens, de la bonne volonté, du travail, du zèle. Que manque-il donc ? C’est la flamme vive et durable de l’inspiration qui est absente. Non certes, la poésie n’est pas morte, ainsi que le disent, avec grande raison, tous les poètes qui viennent à tous les blasphémateurs de l’art des vers. La poésie n’est pas morte, mais elle languit ; elle est arrivée à une période d’indicible lassitude après un merveilleux essor, et cet essor même n’a si promptement abouti à un déclin que parce que les hommes qui ont personnifié ce premier mouvement n’ont pas toujours tenu compte des lois supérieures de l’art. M. Sainte-Beuve ! défendait récemment la poésie moderne avec le zèle d’un homme qui ne veut point être converti comme on l’avait supposé, et qui tient à conserver de bons rapports avec la jeunesse ou du