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verne la communauté et domine, tandis que dans la foule des abeilles les unes vont recueillir le suc des fleurs, et les autres font la cire. En un mot, la monarchie des abeilles ressemblerait assez à la monarchie anglaise, ce qui prouverait que celle-ci vient directement de la nature. L’insecte n’a-t-il pas aussi une âme comme l’oiseau ? C’est une question que l’auteur ne tranche pas tout à fait, mais qu’il serait bien près de résoudre affirmativement, il nous semble. Ainsi va cet esprit ardent et original, faisant tout revivre, prêtant un sens aux choses et laissant toujours cette impression, que la nature a de merveilleux secrets, une merveilleuse ordonnance dans laquelle rien n’est inutile, pas même l’insecte imperceptible. M. Michelet n’est pas certainement un naturaliste très rigoureusement scientifique ; c’est un poète qui a la faculté heureuse de mettre plus de poésie dans ses hypothèses et même dans ses bizarreries que beaucoup d’écrivains n’en mettent aujourd’hui dans leurs livres de vers.

De ces livres si nombreux et le plus souvent si peu connus, il n’en faut pas médire pourtant ; ils ont leur place dans notre littérature. Si l’on voulait, il est vrai, feuilleter d’une main assidue toutes les œuvres de poésie livrées tous, les matins au souille capricieux et indifférent du siècle, les jours n’y suffiraient pas ; mais en même temps, si l’on songe à tout ce que ces pages représentent de rêves juvéniles, d’élans d’imagination, d’enthousiasmes du cœur et de travail persévérant, on est secrètement touché de cette invariable fidélité à l’art des vers. Ce grand art de la poésie, après tout, a toujours le mérite d’être une spéculation désintéressée ; il élève l’âme et l’esprit au-dessus des convoitises matérielles. On ne lui demande pas même toujours le succès, et on l’aime encore. Malheureusement, parmi ces vers contemporains qui se succèdent, et qu’on peut considérer comme les enfans de l’heure présente, beaucoup ne font que répéter une chanson qui a été déjà chantée bien des fois. Les uns se rattachent à l’école de la couleur et du pittoresque, qui n’a été trop souvent que l’école des mots sonores et des vaines emphases. Les autres cherchent encore à faire vibrer les cordes intimes du cœur, et s’efforcent d’ajouter quelques strophes nouvelles à cette éternelle mélodie, à ce poème sans fin des mystérieuses mélancolies de l’âme. Celui-ci, d’une allure plus libre et plus cavalière, marche ou vole sur les traces de l’auteur de Rolla et des chansons andalouses, et il lui sera toujours plus facile d’imiter les chansons que Rolla ou les Nuits. Il en est enfin qui, avec toutes ces inspirations, cherchent à se faire une inspiration propre, plus personnelle.

Veut-on ouvrir encore une fois quelques-uns de ces livres divers, on trouvera tout d’abord les Rimes loyales de M. Boulmier, et les Feuilles d’Avril de M. Pierre Barbier, et les Poèmes du Foyer de M. Audiffret. M. Théodore de Banville, qui vient de publier ses Poésies complètes a un rang à part ; il semble rester un des derniers représentans de l’école romantique. C’est un capitaine dans une armée qui a perdu ses généraux et même ses colonels. M. de Banville a conservé de l’école romantique l’habileté technique, la variété des rhythmes, l’art de plier la langue à toutes les fantaisies, et il a gardé aussi malheureusement un instinct matérialiste très prononcé qui éclate dans tous ses vers. M. Thalès Bernard, de son côté, écrit des Poésies nouvelles. Autant qu’on le puisse comprendre, l’auteur n’a voulu chercher la poésie ni dans les sociétés industrielles, où il n’y en a pas, ni dans le