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en céréales, qui représente la location des terres, et d’une seconde contribution (woorlyf) pour le loyer de la maison et du jardin, avec un lot plus ou moins étendu de prairies, contribution qui monte de 70 à 300 francs, suivant l’importance de la ferme. Enfin il faut y joindre des livraisons accessoires, des œufs, du beurre, et quelquefois des pommes de terre. Sous le coup de telles charges, si la ferme n’est pas bien conduite, la terre bien cultivée et fumée, si les saisons ne sont pas favorables, le fermier est ruiné et obligé de vendre ses outils et ses bestiaux pour payer ses dettes. Ce malheur est imminent, si le fermier qui a compté sur la pension et le travail des aliénés ne l’obtient pas, s’il les perd par décès ou par guérison, ou bien encore si, au lieu de vigoureux maniaques, il lui échoit des démens, des gâteux, ou d’autres malades faibles ou indociles.

On voit comment la colonie d’aliénés est la source de la prospérité financière du pays. Outre les revenons annuels en argent et en travail qu’elle y verse, c’est à elle principalement qu’est due la valeur de toute la propriété immobilière, celle des maisons dans les villes, celle des fermes dans les campagnes, — valeur qui se manifeste tant par le prix d’achat et de vente que par les baux. Les maisons de Gheel comprenant le simple appartement d’un ménage se louent de 80 à 120 francs par an. Une location supplémentaire de terres, quand le jardin ne suffit pas, se paie de 110 à 120 francs, par an. Le bail des terres voisines des habitations de Gheel et des principaux villages se fait, sur le pied de 60 cent, ou 1 fr. 20 cent, la verge, ce qui représente 180 ou 360 francs l’hectare[1], soit 5,000 ou 10,000 francs de valeur en capital. Dans les campagnes, les terres de première classe valent de 3,600 à 4,000 francs hectare, celles de deuxième classe de 900 à 1,200 francs, celles de troisième de 800 à 1,000 francs, et elles s’afferment en conséquence : l’hectare de terre inculte se vend communément de 150 à 200 fr. Par l’effet de la concurrence que se font les prétendans, et dont le travail gratuit des aliénés est un des ressorts, le fermier, écrasé d’avance par la cherté des baux, ne peut trop souvent faire que de médiocres bénéfices, mais la propriété acquiert une plus-value croissante.

Par le concours de ces circonstances, la commune de Gheel se trouve tout entière élevée à un degré de prospérité que lui envie le reste de la Campine ; Aussi, quand le gouvernement belge voudra, avec l’énergie qui triomphe des obstacles, introduire les améliorations qu’il projette, il ne se trouvera pas désarmé devant l’inertie ou le mauvais vouloir des habitans : il peut mettre en jeu leur propre intérêt.

  1. Il faut cent verges pour faire un journal, et trois journaux pour faire un hectare.