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tel classement exciterait le zèle des nourriciers. Des récompenses en nature, qui pourraient consister en quelques lopins de bruyères communales, paraîtraient aussi une excellente méthode de rémunération.

Jusqu’en ces derniers temps, la modique indemnité annuelle dont nous avons parlé ne restait pas toujours intacte, car les frais de reprise des aliénés évadés retombaient à la charge des nourriciers, rigueur qui avait souvent pour conséquence l’emploi abusif des chaînes. On y renonce désormais. Ces frais seront à la charge des communes ou de l’état ; on y pourvoira par des allocations au budget, grossies des dons de la charité privée. Il semble qu’un premier versement de 8 ou 10 francs, une fois payé comme droit d’entrée, à titre de risque d’évasion, ne soulèverait aucune objection et fournirait un premier fonds de quelque importance à la caisse philanthropique.

De nombreuses améliorations ont été introduites par le conseil de l’hospice de Bruxelles dans le service des 300 aliénés qu’il confie à la commune de Gheel. Fruit de sept années d’expérience du docteur Parigot, elles doivent inspirer confiance ; le point principal a été l’adoption d’un vêtement convenable, qui rappelle celui des petits bourgeois. On a aussi substitué aux chaînes un peu lourdes d’autrefois des chaînettes légères pareilles aux bracelets des dames, et qui ne causent aucune souffrance. Toutefois le sentiment de dignité humaine qui a fait supprimer les chaînes d’abord en France, à la voix de Pinel, et successivement dans toute l’Europe, ne peut que difficilement se concilier avec ce reste de violence matérielle, employée comme instrument de simple surveillance préventive. Des garanties de sécurité sont sans doute nécessaires, mais elles doivent être telles que les personnes les plus intéressées au bon traitement des malades n’y trouvent point à redire, telles aussi que les meilleurs gardiens ne puissent se dispenser d’y recourir. Or généralement ce sont les plus mauvais nourriciers qui usent le plus volontiers des chaînes. Le savant médecin que nous citions tout à l’heure réclame avec toute l’autorité de son expérience une réforme plus complète. Il pense que les chaînes pourraient devenir inutiles à la condition de multiplier les prévenances, les consolations, la vigilance, de recourir à propos au caleçon ou à la camisole de force. À l’appui de son opinion, il cite un fait bien curieux. Lorsque le conseil général des hospices de Bruxelles ordonna, sur sa demande, que les chaînes et freins grossiers fussent remplacés par des espèces de bracelets, tout le monde se récria à Gheel : les fers étaient trop minces, la chaînette trop fragile. Chargé de la mise à exécution, M. Parigot tint bon, et finit par vaincre à peu près toutes les résistances.