Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/178

Cette page a été validée par deux contributeurs.

fections sont à l’abri de toute atteinte. De ce fond inviolable, comme d’un nuage éclairé par le soleil, se dégagent parfois un rayon de fine plaisanterie, un trait de bonté, une vision pénétrante, des souvenirs lointains d’une étonnante précision. Ces états particuliers, qui attestent la lutte intérieure de la raison et de la folie, s’évanouissent bien vite dans ces asiles où les comprime une incarcération continue, tandis que, dans une infirmerie dont les soins se combineraient avec la vie libre du dehors, chacun de ces heureux éclairs de bon sens trouverait immédiatement les conditions les plus propres à le prolonger[1].

En accomplissant un tel progrès, la Belgique n’aura pas seulement répondu au vœu de la bienfaisance et de ses concitoyens les plus éclairés : elle aura mis à l’abri de toute critique sérieuse une institution qui n’a pas sa pareille au monde, et qui mérite d’être considérée comme une des gloires de la patrie.

Si le progrès de l’ordre médical est le plus urgent et le plus essentiel à introduire à Gheel, il n’est pas le seul ; il y a aussi quelque chose à faire dans l’ordre administratif. L’administration générale de la colonie d’aliénés est confiée à une commission supérieure composée de trois élémens : 1o  six hauts fonctionnaires de la province ; 2o  les principales autorités locales ; 3o  un comité local choisi parmi les habitans de Gheel. Cette commission délègue le pouvoir exécutif à un comité permanent de cinq personnes. C’est, semble-t-il, un peu trop de monde pour diriger une institution qui doit se manifester par des mesures actives, telles que des ordres à donner, des mesures à prendre. Tant de rouages risquent de se mal engrener. On sait trop combien les commissions, qui sont des associations passagères, mobiles, impersonnelles, irresponsables, sont exposées à se relâcher de leur zèle primitif. Le gouvernail passe d’ordinaire aux mains d’un seul membre, dont le zèle est d’autant plus sujet à des écarts, que son action se trouve à la fois sans contrôle et sans responsabilité. À ces complications nous préférerions un directeur unique, investi de pouvoirs étendus, responsable devant le gouvernement, soumis dans une juste mesure au contrôle des comités de surveillance. L’administration simplifiée y gagnerait en activité et en utilité. La position du directeur serait à la hauteur de tout talent, de toute renommée, et pourrait sourire aux plus hautes ambitions. Qu’ailleurs l’administration soit séparée de la direction, c’est un précédent dont il n’y a rien à conclure contre Gheel ; puisque l’équivalent de l’administration intérieure d’un asile est ici aux mains

  1. Voyez à ce sujet une étude de M. Janet sur Stephansfeld dans la Revue du 15 avril 1857.