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firmerie, la brutalité accidentelle de quelques nourriciers deviendrait plus rare, les cas extrêmes qui la provoquent appartenant de droit à un tel établissement. Avec une infirmerie munie de tous les élémens d’une cure puissante, on n’attendrait plus que les ressources de l’art médical aient été épuisées ailleurs ; on y enverrait les malades dès l’origine, et les soins donnés à propos accroîtraient les chances de guérison. À cette bienfaisante annexe la population de Gheel fournirait d’ailleurs une pépinière d’infirmiers et de gardes-malades admirablement prédisposés. Les femmes surtout y rendraient en toute occasion de précieux services. Une création de ce genre deviendrait le centre d’améliorations qui profiteraient à toute la colonie. Gymnastique, bassins de natation, bains tièdes, douches, seraient mis à la disposition de tous les aliénés. Des cellules de réclusion temporaire pourraient être employées comme correctif des tendances à l’évasion. Avec ces nouveaux avantages, Gheel deviendrait l’Épidaure des aliénés, dont les Esculapes sèmeraient autour d’eux par l’enseignement, au loin par leurs publications, les fruits de l’expérience acquise dans la plus complète école de maladies mentales qui se puisse imaginer.

On entrevoit à peine jusqu’où peut aller le succès dans une telle voie. Serait-il téméraire d’espérer que le médecin, investi à Gheel d’une puissance thérapeutique supérieure à tout ce que le génie de l’humanité a jusqu’à ce jour réalisé, non-seulement interviendrait lui-même avec plus d’efficacité, mais ordonnerait avec plus d’autorité aux malades de travailler à leur propre guérison ? Il n’est pas impossible de faire comprendre à beaucoup d’entre les aliénés que la société, tout en respectant leurs droits naturels, leur retire la jouissance d’une volonté maladive pour les dominer de toute sa science comme de toute sa charité, et qu’en conséquence ils doivent accepter les règles d’une discipline exceptionnelle. Plus d’une fois le malade, ainsi consulté, associé à sa propre guérison, viendra en aide au médecin, tandis qu’aujourd’hui l’on se bute contre le refus obstiné de concours de la part de quiconque se croit victime de l’iniquité sociale.

L’histoire de la folie est pleine de mystères qui ne peuvent être éclairés que dans des conditions tout à fait normales, où le cœur s’allie à la science pour le redressement des âmes. En voyant quelquefois briller, au milieu de la plus forte crise et des plus grands désordres extérieurs, des lueurs soudaines de vive raison et de tendre sentiment, qui semblent être la prérogative et comme le fruit d’une existence pure et vertueuse, on s’assure que le désordre mental n’atteint pas les plus intimes profondeurs de l’âme : dans les derniers replis, il reste comme un sanctuaire où les pensées et les af-