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blient d’avouer que tout établissement fermé est lui-même une chaîne, la dernière, il est vrai, qui reste à supprimer.

Tandis que l’aliéné conduit dans un asile se voit tout d’abord assailli d’impressions pénibles, à Gheel il est accueilli comme un bienfaiteur par la famille à laquelle son séjour assure une pension. Ce premier accueil exerce sur le moral de l’aliéné une influence des plus favorables. Pour qui vient d’un hospice, c’est une véritable libération. Sous l’empire de l’habitude, ce contentement ne tarde pas à se changer en une satisfaction marquée, cause d’une préférence énergique. Lorsque dans ces dernières années certains conseils d’hospices belges jugèrent à propos de retirer de Gheel leurs aliénés pour les transférer dans un établissement rival, dont la concurrence offrait un rabais de 2 ou 3 centimes par jour, ce fut l’occasion des scènes les plus touchantes. Nourriciers et aliénés s’embrassaient en pleurant. Plusieurs de ceux-ci se cachèrent pour échapper à la translation. Il fallut employer la force pour emmener quelques autres. Outre leurs affections et leurs habitudes brisées, ils savaient bien que de la liberté ils passaient à la réclusion. Quand on les interroge à ce sujet, leurs sentimens éclatent bien clairement. Un médecin étranger en visite à Gheel demandait un jour à un insensé qui avait passé quelque temps dans un établissement fermé quel régime il préférait. « La réponse, vous pouvez la faire vous-même, » lui fut-il dit avec réserve ; mais un long et silencieux regard rayonnant de joie promené sur les campagnes environnantes fit bien comprendre le sens de ces paroles.

Cet attachement au pays et à la famille survit souvent à la guérison. Plusieurs fois on a vu des nourriciers garder gratuitement des aliénés guéris qui avaient perdu leur famille ou leurs relations dans le monde. Souvent aussi les bons rapports se continuent à distance et durent toute la vie. Des pèlerinages qui ont lieu annuellement de Bruxelles à Gheel sont destinés à resserrer les liens formés pendant la maladie. Sur divers points de la Belgique, plus d’un pensionnaire guéri suit avec sollicitude les chances de santé et fortune de son ancien nourricier, qui ne s’intéresse pas moins au sort de son ancien commensal.

Que l’existence soit plus douce à Gheel qu’ailleurs, aucun doute ne semble possible ; mais les malades, mais les familles et la science elle-même attendent d’autres résultats encore. Y a-t-il des guérisons ? et quelle en est la proportion ?

Avant tout examen, on doit pressentir que par le développement des sympathies, par le travail et la liberté, la raison elle-même et les sentimens bien équilibrés tendent à reprendre possession d’une âme égarée. Quant au chiffre précis des guérisons, il est juste de tenir compte du caractère désespéré de la plupart des aliénations