Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/17

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce n’est qu’après un certain temps qu’elle se sera familiarisée avec l’idée de la baisse de la monnaie, et qu’elle en aura accepté la conséquence sous la forme d’une aggravation d’impôts. Si la hausse de toutes les propriétés, de tous les revenus, honoraires, salaires, rétributions en tout genre, s’opérait uniformément suivant la même gradation, l’intelligence publique se serait faite assez vite au changement ; mais il s’en faudra de beaucoup que les choses se passent ainsi. Je l’ai fait remarquer, l’événement de la baisse de l’or s’accomplira d’une manière saccadée et en marchant inégalement par rapport aux différens objets. Ce sera une véritable confusion due à l’action de causes accidentelles qui surgiront à chaque instant inopinément et échapperont à tout contrôle. Il n’en faudra pas davantage pour que l’antipathie instinctive chez les contribuables contre l’augmentation des impôts n’ait une justification et ne trouve de bons argumens à son service.

Je ne crois pas exagérer en disant que la période de transition qu’il faudra traverser jusqu’à ce que l’or ait repris une valeur à peu près stable offrira les caractères de malaise, d’inquiétude, d’instabilité et de mécontentement qui servent de cachet aux époques révolutionnaires. À ce sujet, on me pardonnera de rappeler ici une observation qu’a présentée M. Jacob dans son livre sur les Métaux précieux[1], alors qu’il expose les effets de renchérissement qui suivit l’exploitation des mines d’Amérique. « Il y a quelque lieu de penser, dit-il, que le mouvement ascendant de la dépense (déterminé par cet enchérissement), pendant qu’une grande partie du revenu de la couronne restait stationnaire, fut une des causes qui donnèrent naissance, sous Charles Ier, à la guerre civile à la suite de laquelle ce prince infortuné perdit la vie. »

J’ai indiqué plusieurs des classes qui seraient atteintes à leur grand détriment par la baisse de l’or ; pour ne pas laisser trop incomplet le tableau des changemens en perspective, il faut ajouter qu’à côté des perdans il y aurait des gagnans. Si le créancier est forcé de donner quittance en recevant une valeur moindre que celle qu’il se croyait assurée, si par exemple les 100 livres sterling qu’on lui donne ne représentent plus pour lui que les jouissances qu’autrefois il aurait eues avec cinquante, il perd assurément ; mais le débiteur bénéficie d’autant : les 100 livres sterling qu’il a comptées, il se les est procurées avec moitié moins de travail ou de privations. En face de la plupart des pertes que nous avons énumérées, il y a donc lieu de mettre un gain de même importance, À ce sujet, deux questions se présentent et mériteraient qu’on s’y arrêtât : l’une, de

  1. On the precious Metals, tome II, page 103.