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che et souvent renouvelée. Il n’était pas inouï autrefois que l’aliéné partageât, suivant les mœurs simples de l’ancien temps, le lit de quelque membre de la famille ; aujourd’hui les défenses des règlemens, et plus encore la délicatesse des mœurs, un peu moins grossières, ou, si l’on veut, moins fraternelles, ont mis fin à cet usage, qui n’est pas à regretter.

La nourriture est également celle des maîtres de la maison, partout simple et rustique, mais suffisante et jamais rationnée, si ce n’est dans l’intérêt du malade. Les arrêtés en prescrivent la composition, et il va sans dire qu’elle est irréprochable. Il n’y a d’alimentation un peu chétive à craindre que chez l’ouvrier de Gheel, qui achète tous ses vivres et doit viser dès-lors à une économie plus sévère. La chère peut encore laisser quelquefois à désirer, quand l’âge ou des crises maladives exigent des soins exceptionnellement délicats et les ressources succulentes d’une infirmerie. En somme toutefois, il faut reconnaître que la bonne santé, l’embonpoint même des aliénés qui errent dans les rues témoignent en faveur d’un régime où domine en quantité suffisante le pain de seigle (et par exception le pain de froment), les légumes, les pommes de terre, le laitage et la viande de porc. La bière est la boisson du pays : avec un supplément de prix, le vin peut être introduit, si le médecin ne le juge pas nuisible à la santé. Il est d’observation constante que l’aliéné se plie en peu de jours aux habitudes des repas réguliers dans la maison. Le vêtement, fourni d’abord par la famille, la commune ou l’hospice qui envoie le malade, est entretenu par le nourricier, mais renouvelé par l’administration. Aucune couleur ou forme particulière, aucune marque distinctive n’appelle l’attention publique. Chacun se perd dans la foule. Le linge est d’ordinaire propre et suffisant.

Ainsi se pratique, sans ostentation comme sans sacrifice, par le simple élan des cœurs et la puissance des habitudes, cette familiarité amicale d’existence, que l’on voit réalisée à peine dans quelques établissemens, à titre de rare privilége, pour des malades d’un calme exceptionnel. L’admission à la vie intérieure de la famille est à Gheel la loi commune, le droit commun, et quiconque tenterait de s’y soustraire serait frappé de déconsidération. Pour qui est habitué à l’opulence, pour qui n’a visité que les établissemens fondés par la spéculation en vue des classes riches, l’aspect de Gheel semblera certainement pauvre, mesquin, çà et là misérable. Il paraîtra un paradis à quiconque comparera le logement de ces aliénés, tout modeste qu’il soit, avec les infects taudis où végètent la population ouvrière de beaucoup de villes et la population agricole de beaucoup de campagnes. Gheel supportera avec non moins d’avantage