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En approchant du bourg, les cultures se montrent plus rapprochées et plus belles, les fermes moins distantes et moins misérables ; le sol est rafraîchi par des filets d’eau qui multiplient les oasis au sein du désert. Plus près encore, de nombreuses maisonnettes au milieu des jardins annoncent le rayonnement d’un centre important de population, et font soupçonner quelque source particulière de bien-être. Nous sommes à Gheel, le chef-lieu de la Campine belge.

Sur l’origine de cette localité et sur ses développemens, la légende, fidèlement conservée par la tradition, doit fournir une première réponse à nos questions curieuses. Nulle part on ne constate mieux que le présent est fils du passé, car ici rien n’a rompu le lien qui doit naturellement les unir. La fondation de Gheel, dit la légende, remonte aux premiers âges du christianisme dans le pays belge. L’histoire en est triste et touchante. Dès le VIIe siècle s’élevait dans les déserts de la Campine une chapelle dédiée à saint Martin, l’apôtre des Gaules, dont la Belgique avait été une province. Quelques cellules, bâties par la piété, l’entouraient et formaient le noyau primitif du Gheel actuel. C’est là que vint se réfugier la jeune fille d’un roi d’Irlande pour se soustraire à l’amour criminel de son père. Dymphne, c’était le nom de la princesse, était accompagnée dans sa fuite d’un prêtre nommé Gerrebert, qui l’avait convertie au christianisme. Dans cet asile, elle espérait vivre en paix et y mourir oubliée des hommes ; mais la solitude ni la distance ne purent la protéger. Son père découvrit sa trace, la poursuivit, l’atteignit, fit mettre à mort Gerrebert par ses serviteurs, et, ne trouvant personne qui voulût exécuter ses ordres sanguinaires contre sa fille, il la décapita de sa propre main, vengeant ainsi par le plus horrible forfait la défaite de sa passion incestueuse. Témoins de cet effrayant martyre, disent certains récits, conduits par la piété sur la tombe des victimes, disent les autres, de pauvres fous du pays furent guéris. La reconnaissance du cœur et de la foi rapporta le mérite de cette guérison à la sainte jeune fille, qui devint dès-lors la patronne chérie des aliénés. Attirées par l’espoir d’un miracle, de nouvelles familles conduisirent au pied de la croix, qui perpétuait le souvenir de la vertu et du supplice, leurs parens atteints de folie. Bientôt la dévotion passa en coutume. En se retirant, les visiteurs confièrent leurs malades à la charité des habitans qui résidaient sur place : la coutume devint une institution. Le groupe de pauvres chaumières devint lui-même un village, vivifié par le travail autant que par la prière, et à la longue un bourg important, le plus considérable de la Kempen-Land (la Campine brabançonne). Fermes et hameaux se multiplièrent dans le voisinage, et finirent par constituer une commune.

Dès le XIIe siècle, la chapelle de Saint-Martin fit place à une belle