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GHEEL


UNE COLONIE D’ALIÉNÉS


Économistes et agriculteurs connaissent, au moins de nom, cette région de la Belgique, appelée la Campine, qui occupe de vastes espaces dans les provinces d’Anvers, de Brabant et de Limbourg. Pour les agriculteurs, c’est un pays fameux par sa stérilité, fidèle image, sous le ciel du nord, des landes arides de la Gascogne. Aux économistes, la Campine rappelle les efforts d’un gouvernement intelligent pour soulager la misère populaire au moyen de défrichemens, de canaux, de routes, de colonies agricoles : ils l’envisagent volontiers comme une ressource providentielle contre le paupérisme, ce gouffre de la richesse et de la moralité publiques qui se creuse en Belgique sous une population surabondante, malgré les progrès ou par les progrès mêmes de l’industrie.

Ce double titre à l’attention de l’économie rurale et politique appartient à l’ensemble de la Campine ; mais, au sein de ces solitudes, il est une localité qui se recommande particulièrement à tout cœur et à toute intelligence. Là, grâce à une institution ou plutôt à une coutume qui dure depuis des siècles, sans rivale et même sans pareille au monde, l’agriculture trouve dans la folie, — oui, dans la folie, — une compagne, presque une sœur, aussi soumise que laborieuse.

Ce lieu se nomme Gheel ; l’institution est une colonie d’aliénés ; nous disons à dessein colonie, pour faire entrevoir tout de suite la réalité. Il ne s’agit pas en effet d’un établissement pour les maladies mentales, comme il s’en, trouve aujourd’hui en tout pays civilisé, dirigé par la science ou par la charité, clos de murs, soumis à un