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spéciales, notamment dans le sucrage des liqueurs et du vin de Champagne, dont elles servent même à former le bouquet.

Par suite des affections végétales qui ont frappé simultanément nos vignobles et nos cultures de pommes de terre, la production de l’alcool s’est trouvée réduite bien au-dessous de la consommation de ce produit dans ses diverses applications. En France, la cherté des grains est venue accroître ce déficit, et ces circonstances accidentelles ont amené la formation de diverses industries alcoogènes. Parmi ces industries de récente création, la plus remarquable sans contredit est celle qui emprunte à la betterave son sucre pour le transformer en alcool, et rend à l’agriculture, presque en totalité, les autres principes immédiats de la racine saccharifère qui s’appliquent avec un incontestable succès à la nourriture et à l’engraissement des animaux, surtout en améliorant les qualités nutritives des fourrages de qualité inférieure. Cette source récemment découverte d’alimentation du bétail ouvre une ère nouvelle aux progrès agricoles, qui reposent essentiellement sur l’accroissement du nombre des animaux des fermes, car le développement des prairies artificielles et l’augmentation des engrais destinés à élever la puissance du sol en sont les conséquences nécessaires. Bien que née de circonstances exceptionnelles, la fabrication de l’alcool de betterave présente donc des avantages qui lui garantissent un long avenir. Tout porte à croire que cette fabrication ne s’arrêtera pas, qu’elle contribuera de plus en plus, avec l’extraction du sucre indigène, avec l’emploi de la fécule de pommes de terre, des huiles de graines, des fibres textiles du chanvre et du lin, à cimenter une féconde alliance entre l’agriculture et l’industrie.

Augmentation dans la consommation du sucre, découverte d’un engrais précieux, introduction de ressources nouvelles dans la production alcoolique et dans l’alimentation du bétail, tels sont en somme les faits considérables qui ont leur point de départ dans les premiers essais tentés pour développer la culture industrielle et utiliser les propriétés saccharines de la betterave. À côté de ces heureux résultats, il en est un pourtant que nous aimons à constater en terminant : c’est l’industrie manufacturière s’établissant et prospérant au milieu des champs qui lui fournissent ses matières premières, avec son cortège d’ingénieurs habiles, de contre-maîtres instruits, de mécaniciens capables. Ainsi s’augmente utilement la population de nos campagnes, ainsi sont entraînées vers de nouvelles applications de l’industrie agricole des forces surabondantes dont l’encombrement est un danger pour nos villes. Le même mouvement qui développe la richesse matérielle du pays tourne en définitive au profit de l’hygiène publique et de la morale.


PAYEN, de l’Institut.