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ce sont les inquiétudes, l’instabilité, et finalement les dommages qu’auraient à subir une multitude d’intérêts des plus considérables par leur masse, des plus respectables par la justice qui les recommande et la sympathie qu’ils méritent.

Pour nous faire une idée de toutes les causes de souffrance et de danger public en présence desquelles la France se trouve aujourd’hui du fait de l’or, essayons de pénétrer dans le détail de ce qui se produirait pendant la période de la transition, c’est-à-dire depuis le moment où nous sommes jusqu’à celui où l’or aurait repris une valeur à peu près stable, que, pour être fidèle à l’hypothèse déjà énoncée, je supposerai la moitié de celle qu’il a eue par rapport aux autres marchandises, et particulièrement par rapport à l’argent, dans la première moitié du XIXe siècle.

Pendant la période de transition, ce serait pour toutes les fortunes sans exception une valeur incertaine. Pour les personnes dont les revenus consistent en une somme déterminée d’avance en pièces de monnaie, livres sterling ou napoléons par exemple, ce serait en réalité un amoindrissement continu de l’existence, et par conséquent un état perpétuel de malaise, de gêne, de privations. Elles descendraient par échelons de leur condition présente à une autre où elles n’auraient plus que la moitié de leur aisance passée. Elles y seraient précipitées par soubresauts, sans règle ni mesure, sans pouvoir jamais faire une prévision, car le propre des changemens de ce genre, qui sont des phénomènes soumis à beaucoup d’influences diverses, est d’avoir une marche désordonnée. Or la catégorie des personnes dont je parle ici est très nombreuse. Elle comprend les rentiers de l’état, des départemens, des villes, avec lesquels il est bon de nommer ceux des compagnies : on sait quelle est l’importance des obligations des compagnies de chemins de fer. Pour se faire une idée du nombre des personnes qui seraient atteintes à ce titre, il suffit de rappeler qu’en Angleterre le capital de la dette publique monte à 20 milliards de francs. J’ignore quel peut être, dans les îles britanniques, le montant des dettes des localités et des compagnies de toute sorte : ce doit être une somme énorme. En France, le capital de la dette inscrite est de près de 7 milliards 1/2, déduction faite de ce qui appartient à la caisse d’amortissement. Le nombre des parties prenantes, s’il était déterminé par celui des inscriptions, s’élèverait à plus d’un million[1]. Les départemens et les villes doivent

  1. Au 1er janvier 1857, le capital de la dette inscrite était de 8,031,99,446 fr 66 c. La caisse d’amortissement possédait 25,462,159 fr. de rente, ce qui correspond à peu près à 750 millions de capital. Le nombre des inscriptions sur le grand-livre était de 1,028,284 fr. Le montant des arrérages, y compris ce qui revenait à la caisse d’amortissement était de 299,099,242 fr.