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au nombre de 275, à produire 92 millions de kilogrammes de sucre, quantité qui dépasse la production de nos colonies, tout en supportant des droits de douane plus élevés que ceux imposés aux sucres des Antilles. En 1857, le nombre des fabriques en activité s’élève à 283 ; mais la récolte ayant été moindre, la production a diminué de 9 millions. Ce qui prouve que l’infériorité de la récolte est la vraie cause de la diminution, c’est qu’en calculant la production du sucre durant la campagne qui s’ouvre en ce moment, on peut conclure de l’approvisionnement en betteraves, d’après les belles apparences de la récolte, que cette production dépassera 100 millions de kilogrammes en 1858.

L’histoire des applications de la betterave ne serait pourtant pas complète, si, après avoir montré cette humble racine rivalisant avec la tige aérienne de l’un des plus gracieux végétaux des colonies, on n’indiquait un autre élément de produit qui la recommande à l’attention de nos cultivateurs. C’est encore sous la pression de circonstances inattendues qu’on a découvert le nouveau moyen d’utiliser la betterave.

Par une coïncidence singulière et peut-être unique, les trois grandes sources ordinaires de la production alcoolique en France, ou plutôt dans presque toutes les parties du monde, se sont trouvées simultanément taries. Ce fut d’abord une affection jusqu’alors inconnue de l’une des plantes les plus féculentes qui, attaquant dès 1843, en Amérique, des champs entiers de pomme de terre, étendit en, 1845 et durant les années suivantes ses ravages en Allemagne, en Belgique, en France, en Angleterre, en Italie et dans d’autres contrées. À peine les distilleries des deux mondes étaient-elles privées de cette matière première, qu’une autre source plus puissante de la production alcoolique se trouvait également tarie : une maladie spéciale de la vigne, dont l’antiquité ne nous laisse que des traces incertaines, sortie des serres de Margate, se répandait dans toutes les contrées viticoles, en France, en Italie, en Grèce, en Amérique, et, chose non moins remarquable, les deux affections présentaient les plus grandes analogies entre elles, tout en frappant deux plantes si différentes[1]. La troisième source d’une abondante production alcoolique,

  1. Plusieurs botanistes célèbres ont attribué l’altération des champs de pommes de terre, dont les tiges du jour au lendemain étaient flétries et couchées sur le sol, aux attaques d’un champignon microscopique (botrytis infestans, Mont.). Retrouvant moi-même les caractères chimiques et la composition des substances fongueuses rapidement développées dans les substances étrangères qui avaient pénétré les tissus du solanum tuberosum, je les ai dès l’abord considérées comme les émanations d’une cryptogame parasite. Les faits nombreux recueillis, constatés et comparés par notre Société centrale d’agriculture, se sont tous accordés avec cette hypothèse, et ont chaque année repoussé les assertions gratuites qui attribuaient tout le mal à une dégénérescence de notre précieuse solanée. La récolte effectuée en 1857 prouve en effet que ces tubercules, en grand nombre épargnés, se montrent aussi féculens que jamais. Il est heureusement tout aussi certain que la vigne n’a subi aucune dégénérescence en France ni ailleurs, malgré les nombreuses manifestations de l’opinion contraire, bien discréditée aujourd’hui. Les vendanges de 1857 donneront, au dire des viticulteurs les plus expérimentés, des produits comparables à ceux des meilleures années, si ce n’est pour l’abondance, du moins pour la qualité. L’événement justifie pleinement à cet égard les vues que nous émettions dans ce recueil il y a un an à peine (livraison du 1er septembre 1856).