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mière de certains objets de luxe tout entiers en or aura baissé de moitié. Ainsi on pourra faire frapper des médailles d’or à moins de frais, la tabatière d’or sera un luxe à la portée d’un plus grand nombre de bourses, et nos Crésus, les jours de gala, décoreront le buffet de leur salle à manger un peu plus facilement avec des coupes en or. Je dis un peu plus et pas davantage, parce que dans ces objets déjà l’art et la façon, qui forment une partie considérable du prix, n’auront pas baissé, et la baisse ne portera que sur la matière première. À plus forte raison dans la dorure, la matière première seule ayant baissé, il ne s’ensuivra pas une grande réduction, car ce n’est pas la quantité d’or qu’elle absorbe qui en fait la principale dépense. En fait d’avantages permanens que la société ait à espérer de cet abaissement de l’or après l’époque où la crise de la transition sera passée, je ne vois rien de plus dans le cas où il s’agirait d’un peuple qui n’aurait pas le fardeau d’une dette considérable. Il faut en convenir, tout ceci est bien médiocre ; il y a peu de matières pour lesquelles la baisse dans la même proportion ne fût un plus grand bienfait. Dans le cas d’un état qui serait chargé d’une grosse dette publique, l’abaissement de l’or produirait un certain adoucissement pour les contribuables ; c’est un fait que plus loin nous essaierons d’apprécier.

En compensation du plaisir que le public français trouverait à faire frapper à moindres frais de belles médailles en or, à se procurer à meilleur marché des tabatières d’or, et à payer moins cher les boîtes de montre ou les bracelets d’or, ou l’encadrement métallique de ses pierreries, il éprouverait en premier lieu le désagrément d’avoir échangé une marchandise qui a actuellement une valeur relativement fixe, son argent monnayé, contre un autre métal dont la valeur est en décroissance et doit tomber de moitié. Il aurait à peu près fait le commerce de ce grand seigneur qui, par manière de gageure, passa une matinée sur le Pont-Neuf à vendre des écus de six livres pour une pièce de vingt-quatre sous, en supposant qu’au point de départ notre monnaie courante en argent fût de 2 milliards et demi, cette belle opération nous ferait perdre plusieurs centaines de millions, une somme d’autant plus voisine de 1,250 millions que l’enlèvement de notre argent aurait été plus rapide ; or il nous est ravi avec une prestesse bien grande. Ce serait au-delà de cette forte somme, si la dépréciation de l’or était de plus de moitié, ou si, celle-ci étant de moitié seulement, notre monnaie courante en argent avait été au point de départ de plus de deux milliards et demi.

La somme de 1,250 millions est assez ronde pour qu’on ne la sacrifie pas légèrement, et pourtant ce n’est pas la perte qui me semble mériter le plus qu’on s’en préoccupe. Le grand péril et le grand mal,