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Cependant, il faut bien le reconnaître, au milieu de ce nombreux cortège de procédés, d’ustensiles, machines et appareils qui chaque année modifiaient le matériel des usines en le perfectionnant, mais aussi en imposant de lourds sacrifices aux manufacturiers, la sucrerie indigène aurait sombré, ou du moins elle n’aurait pu soutenir la concurrence du sucre de canne plus tard, après les événemens de 1814, au moment où nos frontières furent ouvertes aux importations coloniales, si un agent nouveau d’épuration des jus et sirops n’eût été introduit dans l’extraction et le raffinage du sucre de betterave. Cet agent, d’une utilité si grande que rien n’a pu le remplacer encore, et dont l’emploi a été propagé des sucreries et raffineries de France dans les sucreries et raffineries de toute l’Europe, des Antilles, de l’Amérique et des Indes, c’est le charbon d’os, appelé noir animal, dont les propriétés épurantes et décolorantes ont assuré le succès complet, rapide et définitif des opérations souvent chanceuses du traitement des jus de betterave. Ce fut un événement considérable à une époque où la plupart des fabricans, découragés, cédaient le marché national au sucre exotique, devant lequel d’ailleurs les barrières du blocus continental s’étaient abaissées[1].

Voici dans quelles circonstances fut réalisée l’innovation heureuse qui plus tard devait permettre à la production indigène d’affronter la concurrence des colonies.

En 1810, Guillon, habile manufacturier, avait obtenu de bons résultats de l’application à la fabrication des sirops et au raffinage du sucre du charbon de bois, dont un navigateur russe, Lovitz, avait anciennement fait connaître les propriétés antiputrides et décolorantes.

  1. La fabrication du sucre de betterave aurait disparu de notre sol, si des hommes courageux, éclairés, n’eussent persisté, conservant à la France une industrie qui doit enrichir son agriculture. Parmi les fabricans qui ont obtenu le plus de succès, on doit citer M. Crespel au premier rang. Établis dans le nord de la France, ses ateliers furent dévastés par les armées étrangères. M. Crespel réunit les minces débris de sa fortune, déplaça ses ateliers, et, chaque année employant ses bénéfices à étendre ses cultures, il fabriquait en 1825, dans deux usines d’Arras, 140,000 kilogrammes de beau sucre. (Voir le volume XXIV du Bulletin de la Société d’encouragement, rapport de M. Chaptal.) M. Crespel-Dellisse, un des premiers, fit usage du noir animal. En 1854, dans sept fabriques, il traitait 50 millions de betteraves, produisant de 2,500,000 à 3 millions de kilos de sucre, et payant à l’état de 1,350,000 à 1,600,000 francs.